LA CASAQUE DE G. CHANEL

56 320 € pour la casaque de courses aux couleurs de Gabrielle Chanel

L’unique exemplaire au monde de la casaque de courses aux couleurs de Gabrielle Chanel donnée par Mademoiselle à François Mathet est aujourd’hui cédée par ses fils Hubert et Melchior-François. Lors de la vente Ader du 2 décembre 2019 elle a été adjugée à 56 320 euros.

En satin de soie et confectionnée par Hermès, elle porte les inscriptions faites par le garçon de voyage qui accompagne les chevaux lors des réunions de courses, « Mathet » et « G. Chanel » sur la doublure de la toque et la casaque, indications indispensables pour éviter toute confusion entre les couleurs des dizaines de propriétaires au sein de la « cour » Mathet à Chantilly. La troïka Gabrielle Chanel, François Mathet, Yves Saint-Martin, associée à Hermès, demeure unique, bien qu’éphémère, dans l’histoire des courses de pur-sang en France. Avec l’achat de Romantica, Gabrielle Chanel avait renoué avec son passé : Etienne Balsan, qui la découvre à Moulins au début du siècle et la surnomme Coco, l’emmène pour la première fois sur un champ de courses à Vichy en 1906 et lui met le pied à l’étrier en forêt de Compiègne où elle chasse à courre. Excellente cavalière, elle continuera de chasser jusqu’à l’entre-deux-guerres en compagnie de ses amants, Boy Capel puis le Duc de Westminster.

L’avocat de Mademoiselle Chanel, René de Chambrun, lui avait présenté son ami de classe François Mathet - depuis quelques années le meilleur entraîneur en France - qui la conseillera pour l’achat de Romantica et amènera la jument alezane, montée par le célèbre jockey Yves Saint-Martin, à la victoire lors du Prix Rouge Rose sur l’hippodrome du Tremblay au mois d’avril 1964, puis lors du Prix Finlande - course préparatoire au Prix de Diane - au mois de mai 1964. Suivra en juin le Prix de Diane qu’elle ne remportera pas, Romantica cessera alors de courir et deviendra poulinière au Haras de Bourgfontaine, propriété de son entraîneur. Les couleurs de Gabrielle Chanel ont été enregistrées au Bulletin Officiel de la Société d’Encouragement (l’actuelle société France Galop) N°23/63. Elles figuraient encore dans la liste les « Couleurs des Propriétaires » arrêtée au 1er janvier 1970 avec la mention manuscrite en rouge « décédée 10/1/71 ».



A la veille du Prix de Diane à Chantilly au mois de juin 1964 où sa jument Romantica doit courir, Mademoiselle Chanel accorde une interview à l’hebdomadaire hippique Week-End. L’entretien est laborieux ! Avant de l’amener sur le terrain des chevaux, une passion méconnue de la Grande Mademoiselle, le journaliste est confronté à une Gabrielle Chanel visiblement irritée :
« Un chef d’atelier tombé malade, une vendeuse qui marie son fils, une autre qui demande à prendre des vacances, « le tout à un mois des collections, bien entendu », sans compter « ce Giscard d’Estaing qui veut la mort de ce qu’on appelle les petits patrons ! Il ne veut plus que des grandes entreprises. Il réussira, vous verrez ! 25% à la sécurité sociale. Et les congés, hein ? La collection c’est en juillet. Ensuite il faut livrer les modèles aux acheteurs étrangers. Je n’y peux rien, c’est comme çà. Quand voulez-vous qu’on les prenne, les congés ? Je peux faire beaucoup de choses mais pas remplacer une ouvrière : je ne sais pas coudre ! »

Et pour les chevaux ?
« Les chevaux, rien à voir avec la maison Chanel. Je n’ai pas le droit de m’en occuper. Vous entendez, pas le droit. J’ai 320 employées. Quelques hommes aussi, mais ça c’est secondaire. Je dois me maintenir en bonne santé et être dynamique et avoir des idées. C’est mon devoir vis-à-vis de 320 femmes. Aucun rapport entre les chevaux et la maison Chanel. D’ailleurs je n’ai pas besoin de publicité. Aucun budget de publicité. Je suis la seule. Je suis connue parce que j’ouvre toute grande ma maison. Certains font payer une chaise 100’000 francs (NDLR anciens francs) aux présentations. Vous vous imaginez ? Vous avez besoin d’une chemise de nuit. Avant de vous la montrer, on vous dit « il faut payer 100’000 francs ». Moi je ne marcherai pas. Alors, je ne le fais pas aux autres. »
Tout le monde vient chez moi et copie : bravo ! Les Américains, tous ceux qui veulent. Même en Russie, je suis connue. Aux collections, j’invite l’Humanité. Pourquoi pas ? »

Pour les chevaux ?
« Rien à voir, je vous dis. Sur une robe ou un tailleur, une première, une petite main et une apprentie travaillent chacune trois semaines. Et de bonnes ouvrières. Je ne gagne pas d’argent. Au fond çà m’amuse mais c’est tout. Les parfums, oui, ce n’est pas la même chose. »



Mais les chevaux ?
« Les chevaux de Mademoiselle Chanel, oui, pas de Coco Chanel. C’est parce que j’en avais assez des chiens : bien gentils les chiens mais il faut s’occuper d’eux tout le temps. Femme de chambre d’un chien, voilà ce que j’étais devenue. Ça me prenait trop de temps. Je n’ai pas le droit (sic). Je déjeunais avec (René) de Chambrun, mon avocat. J’ai dit « mon chien est mort mais je n’en veux plus d’autre ». Il m’a dit « et les chevaux ? ». J’ai demandé « ça ne me prendra pas de temps ? » - « Non » - « Alors d’accord pour les chevaux ». Je les connais bien. J’ai été élevée à la campagne en Auvergne. On avait des chevaux. De trait, bien sûr. A l’époque, il n’y avait pas d’automobiles. Mais oui, j’ai été jeune avant l’automobile. Pourquoi le cacher ? Ce serait idiot. C’est aussi la raison pour laquelle je n’ai pas de temps à perdre, vous comprenez ? A cinq ans, je me faisais trainer par un cheval en lui tenant la queue. Plus tard, j’ai fait beaucoup d’équitation, chasse à courre etc. (NDLR, Etienne Balsan l’emmène pour la première fois sur un champ de courses à Vichy en 1906, lui mets le pied à l’étrier en forêt de Compiègne où elle chasse à courre, lui présente son grand amour Boy Capel. Tous deux l’aideront à débuter comme modiste à Paris. Bonne cavalière, elle chassera aussi à cheval plus tard avec son amant le Duc de Westminster).
« Donc j’ai dit : d’accord pour les chevaux s’ils ne me font pas perdre de temps. Chambrun m’a proposé d’en parler à Mathet. Ils étaient ensemble au collège Stanislas. J’ai vu Mathet. Je lui ai dit : je ne veux que deux chevaux, mais tout ce qu’il y a de mieux. Il m’a proposé d’aller en voir avec lui. Pas le temps. Un jour, il m’a téléphoné : ils sont là. Venez un soir à 18h00. J’ai compris qu’il aimait les chevaux. Un amateur va voir un cheval le soir, quand l’animal a mangé, est détendu. Pas le matin, jamais le matin. »
«Je suis arrivée, il y avait un magnifique poulain. Il s’appelle Do Sol ou Sol Do, je ne sais plus. En tout cas deux notes de musique. Une allure de crack. Mais il a fallu le castrer. Il n’a pas encore couru. Et puis il y avait Romantica, moins belle mais peut-être meilleure. »

Vos couleurs ?
« J’aurais voulu blanc, à la rigueur blanc toque noire. C’était pris. J’ai dit rouge. C’était pris aussi. Ça m’a agacé. J’ai décidé : rouge quand même. On mettra un peu de blanc quelque part. J’ai fait téléphoner chez Hermès. Ils étaient tout étonnés que je ne fasse pas ma casaque moi-même. Mais j’habille les femmes, pas les chevaux. Ils sont venus à trois. J’ai choisi le rouge moi-même. Pour le blanc, je leur ai dit de tricher, de le mettre aux coudes. Quand le jockey a les bras pliés, on ne le voit plus (NDLR on parle ici des brassards blancs cousus sur la casaque de Mademoiselle Chanel et dont la largeur est habituellement très supérieure de façon à pouvoir justement les identifier).
« Et Romantica a gagné. Je me suis bien amusée. Je criais »

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lundi 02 décembre 2019 14:00
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