ESTAMPES : ADER PROPOSE PRÈS DE 500 OEUVRES AUX ENCHÈRES


Les 9 et 10 février prochains, la maison Ader organise une vente aux enchères dédiée aux estampes anciennes et modernes. Organisée avec le concours de l'experte Hélène Bonafous-Murat, la vente parcourt toute l'histoire de la gravure, de Dürer à Picasso. Si la vente est remarquable par l'ampleur d'estampes réunies – près de 500 lots choisis et vendus sur deux jours – elle l'est aussi par sa composition : l'étude Ader propose un grand nombre de gravures provenant de la succession de Pierre Hautot. Galeriste installé rue du Bac à Paris, Pierre Hautot, passionné par l'art du papier, éditait, vendait et collectionnait les estampes. Sur ses cimaises, les maîtres anciens côtoyaient les artistes modernes – Gauguin, Matisse – mais aussi les gravures de Doutreleau, Mouly, Cassigneul, Cathelin, Brasilier, Minaux, Garcia-Fons, ses contemporains.


Une gravure humoristique d'Albrecht Dürer
Parmi les estampes qui composent le fonds Hautot, on retiendra Le Songe du docteur, rare gravure d'Albrecht Dürer (1471-1528) que l'experte Hélène Bonafous-Murat définit comme “l'une des gravures les plus humoristiques de Dürer”. Au premier plan, on identifie une femme aux cheveux longs, nue, séductrice, traitée à la manière d'un personnage mythologique. Au second plan se trouve un homme assis, endormi. L'interprétation la plus célèbre a été donnée par l'historien de l'art Erwin Panofsky dans sa monographie consacrée à Dürer : il rattache cette gravure à une représentation de l'acédie. Cette forme de paresse, pointée du doigt sur cette estampe, est un vice propre aux moines qui dorment au lieu de travailler. Un petit diable susurre au creux de l'oreille du moine docteur assoupi la tentation de la chair incarnée par la femme au premier plan, force de vie et de désir. Femme/homme, éveillée/endormi, rêve/réalité : la gravure joue sur l’emphase et l’exagération des oppositions, provoquant un effet comique. Juché sur des échasses, le putto, qui tente maladroitement d'avancer, amplifie le caractère humoristique de l'œuvre.



Albrecht Dürer (1471-1528) 
Le Songe du docteur. Vers 1498. Burin. Sujet : 120 x 190 mm. Très belle épreuve sur vergé mince. Au verso, timbre de Theodor Falkeisen (1768-1814) et Johann Friedrich Huber (1766-1832), graveurs et marchands d’estampes, Bâle (Lugt 1008). 
12 000 / 15 000 €
Provenance : fonds Pierre Hautot



Quand Bruegel cède à la Tentation de Saint Antoine
L'attention des collectionneurs se tournera vers La Tentation de Saint Antoine, d'après le dessin de Pieter Bruegel l’Ancien (c. 1525-c. 1569) et gravée de son vivant par Pieter van der Heyden. 
Du Moyen Âge au XXe siècle, les artistes s'approprient le thème de la tentation de Saint Antoine. Le récit est celui d'un moine, Antoine le Grand, qui vécut au IIIe siècle et décida de se retirer dans le désert d'Égypte où il subit la tentation du Diable sous forme de diverses visions des voluptés terrestres. Le sujet inspire particulièrement les dessinateurs et peintres de la fin du Moyen Âge et donne naissance à une iconographie abondante et variée : dans leurs œuvres, Saint Antoine évolue entouré de créatures démoniaques, de monstres répétés ad nauseam.
C'est principalement Jérôme Bosch (c.1450-1516) qui s'empare de cette tradition et la décline dans des compositions picturales de grandes dimensions cauchemardesques et énigmatiques. Ses compositions imaginaires, extrêmement sophistiquées, intègrent toutes les nouveautés de la peinture moderne : précision morphologique des éléments représentés, lumière et couleurs, espace et paysage, perspective et échelle. Le peintre flamand crée un nouveau genre dénommé « peinture de diableries ». Les travaux de cet artiste influencent de nombreux autres peintres flamands, dont Pieter Bruegel l’Ancien. Le Jugement dernier, l’Enfer, les péchés capitaux et leurs châtiments, les scènes symbolisant les dérives du comportement humain sont autant de thèmes que Pieter Bruegel l'Ancien intègre à son corpus, auquel il ajoute une nouvelle créature fantastique : la « gueule de l’Enfer ». À ce titre, Pieter Bruegel l’Ancien place au centre de sa Tentation de Saint Antoine cette tête géante, dont la bouche béante laisse échapper une épaisse fumée. L'un des yeux ressemble à un hublot au vitrail cassé, l’oreille est comme l’entrée d’une grotte d’où s’enfuit un personnage affolé. 
« La tentation de saint Antoine de 1556 est la première œuvre à faire apparaître Bruegel comme un second Bosch. C’est le dessin préparatoire conservé à Oxford qui nous indique la paternité de la gravure, qui ne porte pour sa part que l’adresse de Cock, éditeur. (…) L’une des principales sources d’inspiration de la tête d’homme surmontée d’un poisson a été sans conteste L’Homme-arbre. Cette figure, peut-être la plus réussie de toutes les créatures étranges inventées par Bosch, apparaît à deux reprises dans ses propres œuvres et d’innombrables fois dans celles de ses suiveurs. Dans la plupart des cas, les imitations sont peu inspirées, mais ici le résultat est une image qui marque et qui peut – presque – rivaliser avec son modèle. De telles images étaient considérées comme distrayantes, comme l’indique leur description de l’époque. En 1558, Martin le Jeune, libraire à Paris, recevait ainsi de Christophe Plantin douze exemplaires de ‘Saint Antoine drôlerie’. » M. Ilsink, in Hieronymus Cock ; la gravure à la Renaissance, ouvrage collectif, Bibl. royale de Belgique et Fondation Custodia, 2014, p. 256. Notre estampe est reproduite p. 257 de cet ouvrage.



Pieter Bruegel l’Ancien (d’après) (c. 1525-c. 1569)
La Tentation de saint Antoine. 1556.
Gravé par Pieter van der Heyden. Sujet : 325 x 242 mm. Épreuve sur vergé mince. 
5 000 / 6 000 €


La Tentation de Saint Antoine de Pieter Bruegel l'Ancien est également à rapprocher de La Vision de Tondale de Jérôme Bosch. 



Jérôme Bosch (vers 1450 - 1516),  La Vision de Tondale, huile sur panneau de bois. 
H, 54 cm. L, 72 cm. Conservé au musée Lazaro Galdiano à Madrid, Espagne. 


Les Anciens, mais aussi les Modernes 
Entre les anciens et les modernes, point de querelle pour Pierre Hautot qui les expose à rang égal dans sa galerie. Les connaisseurs se réjouiront de trouver dans cette vente des estampes du début du XXe siècle et de l'École de Pont-Aven. Un de leur chefs de file, Paul Gauguin (1846-1903), avait ses habitudes au Café des Arts, lieu de passage parisien qui appartenait à Monsieur Volpini. Non autorisé à exposer leurs œuvres à l'Exposition universelle de 1889, le “groupe impressionniste et synthétiste” auquel Gauguin appartenait, organisa alors une exposition au Café des arts situé non loin de là. À l’occasion de cette exposition, il créa une série de gravures baptisée « Suite Volpini » en hommage au propriétaire du café. La planche proposée aux enchères par la maison Ader appartient à cette suite de onze gravures réalisées avec la technique de la zincographie, variante de la lithographie, réalisée sur plaque de zinc. Il s'agit du premier tirage de ces planches, exemplaire très rare, reconnaissable grâce à cet étonnant papier jaune canari. Dans cette suite, Gauguin représente différents paysages, peuples et cultures qu’il étudia pendant ses voyages en Martinique, en Bretagne ou dans le Sud de la France. Notre planche s’inspire du séjour que Gauguin fit en Martinique en 1887. Capturant une scène de la vie quotidienne martiniquaise, il effectue une adaptation exotique et locale de la fable de la Fontaine à laquelle il fait référence dans son titre Les Cigales et les fourmis – Souvenir de la Martinique.



Paul Gauguin (1846-1903)
Le charme d’une vision exotique sur papier jaune canari, Les Cigales et les fourmis – Souvenir de la Martinique. 1889. Zincographie. Sujet : 261 x 216 mm. Très belle épreuve du 1er tirage effectué par Ancourt, sur vélin jaune canari. Tirage indéterminé (30 ou 50 épreuves). 10 000 / 12 000



Une scène charnelle et chaotique de Picasso
Parmi les nombreuses pépites de la vente, évoquons celle-ci : l’ensemble d'estampes de Picasso (1881-1973) devrait retenir l'attention des collectionneurs. La tauromachie a très largement inspiré l'artiste espagnol. Picasso ira jusqu'à illustrer un manuel pour toreros datant du XVIIe siècle. Parmi les lots les plus significatifs de la vente, la maison Ader propose aux enchères une subjuguante gravure de Picasso. Elle appartient à la « Suite Vollard ». Cette série est née d'un arrangement entre Picasso et son premier marchand d'art, Ambroise Vollard : Picasso s'était engagé à lui fournir 100 gravures en échange d'un tableau de Cézanne et d'un Renoir. Il s'agit ici d'une eau-forte intitulée Marie-Thérèse en femme torero (1934) : une invraisemblable construction plastique, dont Picasso avait le secret. “Tout est dans le dessin, dans le trait, dans la plastique chez Picasso, le reste ne l'intéresse pas”, commente Nathalie Gallissot, commissaire de l'exposition « Picasso graveur » qui s’est tenue au Musée des Beaux-Arts de Quimper.
Cette scène charnelle chaotique, dans laquelle s'entrechoquent le désir – suggéré par un corps féminin nu – et la brutalité de la charge du taureau, est l’une des 3 épreuves existantes sur parchemin, numérotée et signée au pinceau par Picasso. Cette gravure est proposée aux enchères avec une estimation de 10 000 / 12 000 €. 


L’unique album de lithographies de Matisse aux enchères
Les amateurs se réjouiront de découvrir dans ces ventes Dix danseuses, le seul album de lithographies réalisé par Henri Matisse. Gravé en 1925 / 1926, le lot proposé aux enchères contient la suite complète des 10 lithographies. Très différent de La Danse, tableau qui fit la notoriété du peintre en célébrant les corps en mouvement, les danseuses de cette série sont présentées au repos ou endormies, et proposées aux enchères avec une estimation s’élevant à 50 000 / 60 000 € pour ce rare ensemble.


       


Henri Matisse (1869-1954)
Dix danseuses. 1925-1926. Album (format : 50,5 x 33,5 cm), contenant la suite complète des 10 lithographies.
Très belles épreuves sur vélin blanc, signées et numérotées au crayon. Éd. de la Galerie d’Art Contemporain de Paris en 1927. Tirage total à 150 exemplaires, celui-ci l’un des 130 sur Arches. 
50 000 / 60 000 €
Provenance : coll. particulière





ESTAMPES ANCIENNES ET MODERNES 
Expert :
Hélène BONAFOUS-MURAT
hbmurat@orange.fr
Tél. : 0033 (0)1 44 76 04 32

Responsable de la vente :
Élodie DELABALLE
elodie.delaballe@ader-paris.fr
Tél. : 0033 (0)1 78 91 10 16

VENTES : 
Salle des ventes Favart, 3, rue Favart 75002 Paris

Mercredi 9 février 2022, 14 h 00
Jeudi 10 février 2022, 14 h 00