DESSINS : 260 FEUILLES DE GRANDE QUALITÉ AUX ENCHÈRES

 
Le 24 mars prochain, en parallèle du Salon du dessin, la maison de ventes Ader organise une vente dédiée aux dessins anciens et modernes à l’Hôtel Drouot avec le concours des experts du cabinet de Bayser. Parmi les 260 lots proposés, les amateurs et collectionneurs de belles feuilles se réjouiront de trouver des gouaches colorées d’Yves Klein et Otto Freundlich, des académies d’hommes dessinées par Jean-Baptiste Lemoyne et Paul Cézanne, mais également de rares témoignages de l’histoire de Paris.



Gouaches : le triomphe de la couleur

Deux dessins aux couleurs éclatantes nous rappellent la place qu’occupe la couleur dans le dessin. Dans un dessin abstrait comme le lot 229, une gouache d’Otto Freundlich, Composition, réalisée en 1936, c’est la couleur qui donne un sens et une cohérence à la réalisation. Cet artiste né en Poméranie prussienne dans une famille juive convertie au protestantisme, réalise plusieurs voyages en Italie puis à Paris, où il finit par s’installer plus durablement. C’est là qu’il se tourne, très tôt, vers l’abstraction. Il est aussi connu pour sa vie et son engagement que pour son art : résolument antifasciste, il s’élève contre le nazisme dans plusieurs textes, qui lui vaudront d’être parmi les artistes les plus représentés dans l’exposition d’art dégénéré, ou Entartete Kunst. Par la suite, beaucoup de ses œuvres seront détruites par les nazis et finalement ce qui explique qu'une grande partie de son œuvre soit aujourd’hui disparue ou inconnue.

Cette gouache est assez emblématique de son art pictural. Il joue en effet avec brio sur les touches de couleur et leur variation à l’aide de petits quadrilatères colorés. Guillaume Apollinaire rapproche ses travaux d’autres peintres abstraits, notamment Robert et Sonia Delaunay, notamment dans sa manière d’appréhender l’abstraction par les couleurs, leur rapport entre elles et le mouvement qu’elles peuvent créer par leur contraste. Mais lui-même dit ne s’apparenter à aucune école précise et créer autour de la construction des couleurs selon son inspiration. Les couleurs rayonnantes de la gouache nous donnent ainsi un aperçu de cet artiste encore peu mis en avant et néanmoins passionnant.



Lot 229 - Otto FREUNDLICH (1878-1943)
Composition, 1936
Gouache.
Monogrammée et datée en bas à gauche.
43 x 33 cm
Estimation : 25 000 – 30 000€



Comme pour Otto FREUNDLICH, les couleurs sont au cœur des travaux d’Yves Klein comme en témoigne déjà ce Paysage de montagne, lot 201 de la vente. Ce doux paysage vallonné aux teintes vives est une œuvre de jeunesse ; en 1946, le jeune Yves ne pratique la peinture qu’à ses heures perdues, poursuivant des études à l’École nationale de la marine marchande et à l’École nationale des langues orientales. Il ne fait de sa pratique artistique sa profession qu’à partir de 1954.
Dans cette œuvre, il utilise la gouache qui permet un effet très couvrant et opaque, comme sur les toits des maisons. Les contours sont déjà réalisés avec du bleu plutôt que le traditionnel cerne noir, un bleu qui semble déjà se rapprocher de la couleur qu’il va travailler tout au long de sa carrière.

Ainsi, ces deux gouaches rappellent  l’importance primordiale de la couleur pour Otto Freundlich comme pour Yves Klein, étroitement liée à leur pratique artistique.



Lot 201 - Yves KLEIN (1928-1962)
Paysage de montagne, 1946
Gouache.
Signée et datée en bas à droite.
(Coin supérieur droit manquant et déchirures restaurées).
25,5 x 36,5 cm (feuille)
22 x 33 cm (sujet)
Estimation : 6 000 – 8 000€




Deux académies face à face

Dans l’art du dessin, l’académie est restée pendant longtemps un passage obligé pour un artiste en formation. Une « académie » désigne par métonymie la représentation dessinée d’un modèle nu, qui servait d’exercice dans les académies de Beaux-Arts. Avant l’apparition d’académies d’art privées à la fin du XIXe s. comme l’Académie Julian, l’accès aux modèles nus était très contrôlé, et souvent limité aux étudiants masculins les plus brillants des académies des beaux-arts. Le dessin d’un nu d’après modèle vivant était en effet considéré comme un des exercices les plus difficiles à réaliser, ces nus servant ensuite de base à la réalisation de grandes peintures d’Histoire ou sculptures, qui faisaient souvent apparaître des personnages dénudés en pleine action.

Dans la vente de dessins anciens et modernes du 24 mars, deux académies de grands artistes sont présentées à la vente, réalisées à un siècle d’écart. La première, lot 37 de la vente, est une Académie d’homme tirant une corde de dos, réalisée par le sculpteur Jean-Baptiste II Lemoyne, datée de 1752. Elle est réalisée au crayon noir, à l’estompe et présente des rehauts de craie blanche. La seconde, lot 91, est une Académie d’homme avec reprise du visage et de la jambe réalisée au crayon noir par le jeune Paul Cézanne alors qu’il est encore à l’école de dessin d’Aix-en-Provence, entre 1857 et 1862.



Lot 37 - Jean-Baptiste LEMOYNE (Paris 1704-1778)
Académie d'homme tirant une corde de dos, 1752
Crayon noir, estompe et rehauts de craie blanche.
Signé et daté en bas à gauche.
(Collé sur son montage ancien).
58 x 44 cm
Estimation : 12 000 – 15 000€



Le premier est de dos, le second de face. Le sujet du corps nu masculin est le même, néanmoins, la manière de l’appréhender est bien différente. Lemoyne regarde le corps nu avec des yeux de sculpteur et rend ainsi compte de la musculature en insistant particulièrement sur le modelé. Il utilise avec science les rehauts de blanc pour suggérer les ombres et donner une plus grande matérialité à la chair, et rend compte d’un corps en tension en utilisant une corde pour mieux faire ressortir les muscles du modèle. Enfin, le choix d’une représentation de la figure de dos n’est pas anodin pour un sculpteur qui rend compte de la réalité de manière tridimensionnelle et doit donc étudier le corps humain sous tous les angles.

L’approche de Cézanne est différente. Il donne autant d’importance à la matérialisation du corps qu’à celle de la figure de son modèle, préfigurant son travail sur les portraits. Il prend une réelle liberté par rapport aux attendus d’une académie, rendant compte du corps dans toute sa simplicité, sans héroïsation particulière, notamment par un rendu sec et précis de la musculature du modèle, presque à la manière d’un traité d’anatomie. Il respecte néanmoins les enseignements de son maître Joseph Gibert, dans son rapprochement, par la simplicité du trait, aux modèles antiques et davidiens.
Les deux académies sont ainsi particulièrement marquantes, portant en germe le talent de deux des plus grands artistes de leur génération.




Lot 91 - Paul CÉZANNE (Aix-en-Provence 1839-1906)
Académie d'homme avec reprise du visage et de la jambe
Crayon noir.
Monogrammé en bas à gauche.
61,5 x 47,5 cm
Estimation : 30 000 – 35 000 €




Transformer Paris par le dessin
 
Deux dessins de la vente ont une dimension historique toute particulière pour l’histoire de la ville de Paris : les lots 99 et 100. Le premier est un dessin de Juste Lisch, architecte qui propose un projet pour l’Exposition universelle de Paris de 1878 autour du Trocadéro, et le second est un dessin de deux autres architectes, Joseph Cassien-Bernard et Gaston Cousin, représentant le Pont Alexandre III, projet pour l’Exposition universelle de 1900.

Ces Expositions universelles ont rythmé le XIXe s. La première fut organisée à Londres en 1851, et déjà l’architecture spectaculaire était de mise, avec notamment le Crystal Palace construit par Joseph Paxton. Petit à petit, ces évènements gagnèrent tellement en importance que les villes changeaient presque du tout au tout quand venait le moment d’accueillir ces expositions. De nombreuses architectures éphémères étaient mises en place et finissaient parfois par s’intégrer durablement au paysage de la ville concernée, le plus célèbre exemple de ce genre d’architectures étant peut-être la tour Eiffel.

Un autre exemple de cette transformation architecturale, qui connut une longue postérité, fut le Pont Alexandre III comme en témoigne le dessin de Joseph Cassien-Bernard et Gaston Cousin proposé en vente le 24 mars. Réel dessin d’architecte, avec notamment les mesures et aspects constructifs présents, il n’en reste pas moins une œuvre d’art par la mise en scène du pont, que ce soit par l’ajout de passants ou bien par la précision qu’atteint le rendu des détails décoratifs qui feront la célébrité de l'ouvrage, symbole de l’amitié franco-russe instaurée par l’alliance conclue en 1892 entre l’empereur Alexandre III et Sadi Carnot. Alliant science et art, ce pont fera partie intégrante de l’Exposition universelle de 1900, puisqu’inauguré pour cette occasion, il créera le lien avec le Petit et le Grand Palais, autres constructions réalisées pour l’Exposition.



Lot 99 - Juste LISCH (Alençon 1828 - Paris 1910)
Projet pour l'Exposition Internationale de Paris de 1878
Aquarelle.
Signée et datée de 1876 en bas à droite.
59 x 98,5 cm
Estimation : 7 000 – 9 000€



 
Le témoignage laissé par Juste Lisch de son projet pour le Trocadéro lors de l’Exposition universelle de Paris en 1878, nous montre un projet fantastique, dont il n’existe plus de traces qu’en dessin aujourd’hui. Il est intéressant pour l’architecture qu’il propose, mais aussi et surtout pour le paysage parisien qu’il laisse deviner. Paysage parisien qui, encore assez dégagé en 1878, est presque méconnaissable. De la même manière, l’architecte conjugue une approche rationnelle et artistique, laissant parler son talent de représentation et d’imagination autour du projet architectural.

Ces deux dessins d’architecture sont alors deux témoins de ces grandes expositions, et des documents précieux pour comprendre l’agencement de Paris tel qu’il existe aujourd’hui.


Lot 100 - Joseph CASSIEN-BERNARD (1848-1926) & Gaston COUSIN (1859-1901)
Le Pont Alexandre III, projet pour l'Exposition Universelle de 1900
Plume, encre noire et aquarelle.
Signée en bas à droite et datée de novembre 1897.
(Insolé, déchirures et petits manques sur les bords).
95,5 x 65 cm
Estimation : 8 000 – 10 000€








DESSINS ANCIENS ET MODERNES
 

 
VENTE

Vendredi 24 mars 2023 14:00
Hôtel Drouot, salle 1


EXPOSITION PUBLIQUE

À Drouot, salle 1
Jeudi 23 mars de 11 h à 20 h
Vendredi 24 mars de 11h à 12h


RESPONSABLES DE LA VENTE

Xavier DOMINIQUE
xavier.dominique@ader-paris.fr

Camille Maujean
camille.maujean@ader-paris.fr