Emilie Preyer, Une peintre hors du temps
Une petite toile d’Emilie Preyer constitue le premier lot de la vente de tableaux modernes du vendredi 12 mai 2023, qui aura lieu en salle 5 à Drouot. Peintre assez confidentielle de son vivant, elle fut particulièrement collectionnée par les publics allemands et américains. Si son nom n’est pas aussi connu que celui de Foujita (lot 33 de la vente) ou de Renoir (lots 7 à 10), elle reçut un accueil enthousiaste de nombreux amateurs d’art qui appréciaient ses références aux anciens et son inscription dans la modernité. La toile ici présentée s’inscrit parfaitement dans l’œuvre de l’artiste, qui rivalisa de talent pour concentrer quelques objets dans de petites toiles, à la lumière et la composition finement travaillées.
Rivaliser avec les maîtres des Pays-Bas L’œuvre s’inspire directement des réalisations des peintres des Pays-Bas du XVIIe. De ces grands maîtres, Emilie Preyer a su reprendre la touche tout en délicatesse et en précision, alliant finesse des formes et douceur de l’atmosphère.
L’artiste porte une attention toute particulière aux effets de lumière, que celle-ci se reflète de manière diffuse dans les grains de raisin presque translucides, ou bien de manière plus précise, représentant le reflet de la fenêtre en anamorphose dans la flûte en verre. Si on s’approche des zones plus claires, on remarque aisément que, dans chaque pointe d’éclairage, les croisillons se coupant à angle droit sont visibles.
Une autre merveille du tableau est le travail sur la profondeur. La perspective est créée, à la manière des peintres hollandais, par un petit rebord duquel des éléments dépassent: un grain de raisin, une feuille de la rose, et surtout le papillon, arrivant délicatement sur la composition et créant un mouvement dans cette « still-life ». La composition est par ailleurs parfaitement maîtrisée, les coloris clairs et sombres alternant dans une forme pyramidale équilibrée.
Une symbolique étudiée Ce tour de force ne fait pas néanmoins oublier les éléments présentés, tous aisément reconnaissables. Chaque met est choisi savamment et répond à une signification construite par l’artiste. Les œuvres des peintres des Pays-Bas, si elles n’avaient pas de sujet identifiable, n’étaient pas pour autant dénuées de sens, celle-ci non plus.
L’œuvre répond-elle à une symbolique religieuse ? Chaque élément est en effet lourd de sens chrétien : la vigne rappelle l’eucharistie, les noix sont souvent symbole de Trinité, les fruits sont ceux du péché originel, la rose évoque la pureté de la Vierge, et le papillon symbolise l’âme. Mais alors, pourquoi choisir de remplir la flûte de champagne, plutôt que de vin ? Certainement, cette introduction de la modernité dans la composition, au centre et mise en valeur par la lumière, n’est pas un hasard.
Le papillon en suspens, la fraîcheur de la rose et des fruits, le détail de la petite mouche posée sur un grain, et les bulles montantes du champagne qu’on croit entendre pétiller, nous orienteraient peut-être plutôt vers une symbolique temporelle, l’artiste livrant au spectateur une instantanéité arrachée au temps qui passe.
Une membre de l’École de peinture de Düsseldorf Ce qui est certain, c’est qu’Emilie Preyer ne se mesure pas aux grands maîtres du Siècle d’Or par hasard. Cette artiste allemande est la fille du peinte Johann Wilhelm Preyer, qui a commencé à populariser la peinture de nature morte au sein de l’école de peinture de Düsseldorf.
Cette école de peinture s’est développée au milieu du XIXe siècle en Allemagne, sous l’impulsion de Peter von Cornelius et Wilhelm von Schadow. Tous deux furent des « Nazaréens », peintres allemands installés à Rome pour refonder l’art religieux et y trouver de l’inspiration, à un moment où dans toute l’Europe, des velléités de retour à une peinture classique avaient éclos. De retour dans leur pays, ils prirent en main l’école de peinture à Düsseldorf, qui très vite gagna un certain succès. Elle mêla habilement les considérations sur l’art classique de ses fondateurs à des inspirations plus romantiques, courant de pensée lancé notamment par Goethe qui façonna profondément le monde germanique du XIXe siècle. Cela se traduisit par une réappropriation des genres classiques, comme la peinture d’histoire, le paysage et la nature morte, mais avec une insistance sur le naturalisme de la représentation, un certain nationalisme, et une réflexion sur le temps qui passe.
Quoi de mieux que la nature morte pour témoigner de ce nouvel intérêt pour le naturalisme et la fuite du temps ? Emilie Preyer dut se servir de ses liens familiaux pour accéder à l’ Académie des beaux-arts de Düsseldorf et y apprendre la peinture comme « élève libre », car les femmes n’y étaient à cette période pas admises en tant qu’apprenties. Elle sut tirer profit de ces enseignements restés limités, et la grande qualité de ses natures mortes la classa rapidement parmi les artistes les plus recherchés de l’école de Düsseldorf.
L’école connut en effet un très grand succès tout au long du XIXe et du début du XXe siècle, car elle sut attirer en son sein des artistes internationaux, venant notamment de Scandinavie, de Russie, et même des États-Unis. Les Américains fondèrent d’ailleurs à sa suite la Hudson River School. De ce fait, tout un public allemand, nordique, et américain se mit à collectionner en quantité les œuvres de la meilleure qualité provenant de cette école. Les peintures d’Emilie Preyer furent ainsi vite recherchées, pour leur naturalisme et leur grande délicatesse.
Lot 1 - Émilie PREYER (1849-1930)
Nature morte aux grappes de raisins, pêche, noix, rose, papillon et flûte de champagne
Huile sur toile.
Signée en bas à droite.
24 x 32 cm
Estimation : 20 000-30 000€Informations sur la vente :
ART IMPRESSIONNISTE ET MODERNE
https://www.ader-paris.fr/catalogue/134461?offset=0&VENTEVendredi 12 mai 2023 à 14h00
Hôtel Drouot, salle 5
9 rue Drouot 75009 Paris
EXPOSITION PUBLIQUEJeudi 11 mai de 11 h à 20 h
Vendredi 12 mai de 11 h à 12 h
Hôtel Drouot, salle 5
9, rue Drouot 75009 Paris
RESPONSABLES DE LA VENTEXavier DOMINIQUE
xavier.dominique@ader-paris.fr
Camille Maujean
camille.maujean@ader-paris.fr