179 200 € POUR LE PORTRAIT INÉDIT DE JOSÉPHINE BAKER AUX ENCHÈRES


MISE À JOUR DU 19 NOVEMBRE 2021

Les commissaires-priseurs David Nordmann et Xavier Dominique proposaient l’acquisition d’une oeuvre immortalisant le point culminant d’une carrière artistique inédite et flamboyante. Le portrait inédit de Joséphine Baker peint en 1931 par Jean-Isy de Botton et proposé le 19 novembre à Drouot par la Maison de ventes Ader a atteint 179 200 € (frais compris). Le tempo de la vente a été donné par des enchérisseurs français, aussi bien amateurs d’art que sensibles au symbole de liberté véhiculé par l’icône des Années Folles.
Après une bataille d’enchères entre la salle et les téléphones, le portrait de celle qu’on surnomme “la Perle Noire”, a été remporté par un acquéreur en salle. « Le tableau a été acheté par un particulier qui est tombé amoureux de ce portrait en passant devant la vitrine de l’étude Ader où il était exposé » Maître David Nordmann. Ce résultat est un record mondial pour une oeuvre de Jean-Isy de Botton, qui rend hommage au peintre et
replace l’artiste à la hauteur de sa notoriété de l’époque. Cette belle adjudication fait aussi écho à l’entrée au Panthéon de Joséphine Baker dans quelques jours, et ce portrait se présente plus que jamais comme un manifeste de liberté, toujours d’actualité.

Quelques mois avant l’exécution du tableau, la danseuse est de retour en France après sa première tournée mondiale. Elle est dans la foulée engagée par Henri Varna pour mener la revue de la saison 1930-1931 au Casino de Paris. Elle enregistre, pour cette occasion la chanson à succès « J’ai deux amours » spécialement composée pour le spectacle. 1931 est pour Joséphine Baker -plus que l’année du succès qu’elle connaît depuis six ans déjà- la date de son sacre. La toile de Jean-Isy de Botton est une véritable mise sous cloche de ce couronnement. 

« Pour aller faire le portrait de Joséphine Baker, il fallait avoir ses entrées [...] (Botton) était déjà une personnalité très importante du monde des arts. [...] Il a connu, avant l’autodafé, plusieurs succès dans les années vingt dans les différents Salons » 
Maître Xavier Dominique à propos de Jean-Isy de Botton.



Jean Isy de BOTTON (1898-1978), Portrait en pied de Joséphine Baker, 1931. 214 x 130 cm.
Estimation : 100.000/150.000 €


CINQ POINTS CLEFS À RETENIR SUR LE TABLEAU

1) La vente de ce tableau fait écho à l’entrée au Panthéon de Joséphine Baker qui aura lieu le 30 novembre 2021.
2) L’œuvre de Jean-Isy de Botton que nous présentons est rare car,  en 1933, l’artiste immole la quasi- totalité de son travail (352 toiles au total).
3) Si Joséphine Baker est la femme la plus photographiée de son temps, il n’existe, à priori, aucune autre représentation picturale connue en pied de la danseuse.
4) En 1931, lorsque Jean-Isy de Botton achève le portrait de Joséphine Baker :
- Elle est au sommet de sa carrière artistique, artiste la mieux payée du music-hall français.
- C’est aussi la date de la sortie de l’incontournable chanson « J’ai deux amours ».
5) Surnommée « La Perle Noire » Joséphine Baker est la première star noire d’Europe.

BOTTON, BAKER, "DEUX AMOURS"

Le peintre vedette, chouchou et coqueluche -mais discret- et la star iconoclaste, surdouée, irrésistible, exubérante, au sourire indécrochable, et à la renommée planétaire : Jean-Isy de Botton (1898-1978) et Joséphine Baker (1906-1975) ont accompagné et marqué en profondeur leur époque.
Tous deux auront vingt ans pendant les années folles, tous deux connaitront la longévité dans le succès, et tous deux assisteront, de près ou de loin, à la folie humaine pendant les années 39/45. Ils possèdent l’un et l’autre un lien de parenté avec les États-Unis et la France. En effet, Paris adopte la fille d’esclave rejetée par son Missouri natal, qui embarque à l’âge de 19 ans sur un paquebot transatlantique. New York accueille le peintre parisien en exil après l’annonce de la déclaration de la Seconde Guerre mondiale. Tous deux obtiendront la nationalité de leur pays d’adoption.
L’une bouleverse : les styles, les codes esthétiques, les mœurs. Elle rend à la mode le Charleston tout en le chargeant de l’amorce de la libération du corps des femmes (à l’époque, rappelons-le, la danse la plus répandue à Paris est la valse, une danse autrement plus codifiée). L’autre observe : ses prédécesseurs, ses contemporains, les personnalités marquantes. Il ajuste, décrit, restitue. Toujours au plus près de la scène, au plus près des acteurs de son temps, depuis le carré d’or, il est seul peintre invité au couronnement du Roi George VI à Londres. Ses toiles sont achetées par Churchill, Chaplin, Valery. Sa cote ne flanche pas.

UN PORTRAIT INÉDIT : QUAND JOSÉPHINE SE MET À NUE

Jean-Isy de Botton choisit de représenter grandeur nature, la femme la plus photographiée de son temps : Joséphine Baker, qui est aussi l’artiste la mieux rémunérée du Music-Hall parisien et la première star noire d’Europe. Les plus grands couturiers de l’époque l’habillent. Mais c’est dans son plus simple costume, qu’il choisit de la peindre. Celui dans lequel elle se rendit célèbre. 
Joséphine Baker se tient devant nous sur une scène cubiste qu’un Braque ou un Picasso d’avant-guerre aurait pu esquisser. Elle est nue. La forme géométrisée, le volume conique de ses seins évoquent le style art déco employé pour représenter la poitrine de La jeune fille en vert de Tamara de Lempicka, une œuvre achevée un an plus tôt. La netteté du contour des éléments de l’œuvre, la franchise des lignes et des contrastes, ainsi que la quasi invisibilité du trait de brosse rappellent le style de Cézanne. 
Le peintre utilise toute la palette chromatique dédiée à la chaleur et à l’amour : tons mordorés, carmins, rouges, terre de Sienne, cuivre, ocre, pourpres. Ces couleurs, ce sont aussi celles des salles de spectacles dont les textures semblent retranscrites par le peintre : velours des sièges, épaisseur du rideau, ambiance ouatée, feutrée, protégée mais joviale. 
Emblématique, malicieux et séducteur, le sourire de Joséphine Baker est fidèlement restitué par le peintre. Parée de plumes de paon, totalement dévêtue ou encore dans son costume de sous-lieutenant, ce sourire animera en tout lieu et en toute circonstance le visage de la chanteuse. Il y a une timidité feinte dans sa pose. Feinte, car la timidité et la retenue ne la caractérisent pas. Extravertie, extravagante et très à l’aise en société, c’était une véritable amoureuse, de la vie, des hommes comme des femmes : mariée quatre fois, elle eut aussi des amantes, dont Colette. 
Sur la toile, Joséphine Baker enserre un bouquet de fleurs dans son bras droit. On sait le nombre de bouquets qui pleuvaient après chaque représentation. C’est d’ailleurs une fin de spectacle que Jean-Isy de Botton choisit d’immortaliser. Joséphine remercie humblement, elle pose, sourit, s’apprête à regagner sa loge. Les musiciens, eux, ne semblent pas décidés à s’arrêter. Ils ont visiblement atteint le point culminant, une transe de cuivres et de cordes. C’est aussi ça, immortaliser. Joséphine ne regagnera jamais sa loge, elle reste pour toujours avec son public.



Joséphine Baker dansant le charleston aux Folies Bergère à Paris lors de la Revue nègre en 1926 (photo de Waléry).

JOSÉPHINE BAKER OU L'OISEAU DE FEU

Son portrait échappe aux flammes. Elle- même échappe à l’enfer de la domesticité, pour ne pas dire de l’esclavage, en s’enfuyant de la maison de sa maîtresse après que celle-ci lui ait brûlé les mains pour la punir. Entre elle et le feu, il y a un lien de défiance et de complicité : elle fait peu de cas du feu de la Wehrmacht. Ceux des projecteurs... elle les adore. Carrière flamboyante, véritable feu d’artifice, c’est plus de cent fois par jour qu’on lui déclare sa flamme, à l’oral ou par lettres. Et il faut remonter loin, très loin, il faut partir à la rencontre de Joséphine enfant, de la petite Freda Joséphine McDonald, pour surprendre un regard sans étincelle.



Joséphine Baker en costume burlesque dans La Revue des Revues en 1927, photo de Waléry.

LE DÉFI ARTISTIQUE DE JEAN-ISY DE BOTTON

Être peintre au début du XXème siècle c’est savoir s’affranchir des courants majeurs, foisonnants et prolifiques qui se sont succédés durant les cinq décennies précédentes. Jean-Isy de Botton est observateur et appliqué. Peut-être un peu trop au point de trouver sa production insatisfaisante et de la brûler afin de repartir de zéro. Les œuvres qui nous restent de lui semblent effectivement empruntes des styles, des techniques, et des titres parfois même, mis au point par les chefs de file des courants antérieurs ainsi que par les génies de son temps. Jusqu’en 1933, année de son autodafé, il puise dans le fauvisme, l’impressionnisme, le nabisme, le cubisme, le surréalisme et l’art déco. 
Ainsi on retrouve dans ses nus allongés, la langueur et la lascivité rendue par Pierre Bonnard avec son Indolente. On retrouve aussi l’influence de Braque et de Picasso dans son tableau Village provençal fortifié. Quant au lien de parenté entre ses Baigneuses et celles de Cézanne ou de Henri-Edmond Cross, il semble direct. 
Et ils sont nombreux à devoir relever le défi, comme André Favory qui passera, sans autre transition que quelques natures mortes, du cubisme aux lignes courbes et généreuses des corps féminins. 
Jean-Isy de Botton relève le défi et se fait un nom et une place de choix dans le milieu artistique. Il expose six fois à New York, puis à Seattle, San Diego, deux fois à Philadelphie et à Boston, à Hollywood, Los Angeles, San Francisco, Chicago, Phoenix, Atlanta, Fort Worth, Palm Beach ou encore à Dallas. Ses œuvres entrent aussi bien chez les collectionneurs et admirateurs privés, que dans les grandes institutions. Le musée de la Marine lui commande une fresque, et la ville de San Francisco lui commande le décor de son opéra. Ses toiles sont conservées au Musée Albertina de Vienne, à l’High Museum of art, au Metropolitan Museum, au Musée de l’Histoire de France du Château de Versailles, au Musée du Luxembourg ou encore au Musée national d’art Moderne de Paris.



Tamarra De Lempicka, Jeune fille en vert, © Paris Flickr/ Jean-Pierre Dalbéra​​​​​​​.


André Favory, Nu (vers 1920), Sofia,© Galerie nationale des beaux-arts.​​​​​​​

JOSÉPHINE BAKER FAIT DANSER LE MARCHÉ DE L'ART 

La relation amoureuse Paris-Baker- Botton-Amérique a de beaux jours devant elle. Le musée Franco- Américain vient de faire l’acquisition de deux dessins signés Jean-Isy de Botton représentant Joséphine nue en train de danser dans sa tenue, devenue culte, de l’époque des Folies Bergère. Nota Bene : à l’époque où sont effectués les dessins, Joséphine Baker ne s’y représentait déjà plus depuis plusieurs années. 
Après son tout premier passage sur scène, plus rien ne sera jamais comme avant à Paris et en France, puis en Europe. 
C’est une déflagration. Les deux dessins de Botton mettent en évidence l’une des composantes chimiques de cette déflagration : son corps. Un corps musclé, tonique, souple, athlétique qui répond avec un plaisir infini au rythme du Jazz- band qui l’accompagne au cours de ses tournées. Et certainement -l’improvisation étant un élément central dans la musique jazz- que la danseuse s’amusait à dicter le tempo aux musiciens. 
La Maison de ventes Ader vient de vendre le 7 octobre 2021 Le tumulte noir , rare album réalisé par l’affichiste Paul Colin qui magnifie Joséphine Baker et la Revue nègre, adjugé 20 600 € pendant la vente aux enchères de la collection Crépineau.


    
Jean Isy de Botton,Joséphine Baker, 1931, dessins à l’estompe, fusain, vergé, © musée franco- américain du château de Blérancourt​​​​​​​.

JOSÉPHINE BAKER FAIT DANSER LA FRANCE 

Ce corps naturellement musclé est une véritable découverte pour les parisiens et les parisiennes. Sa façon de danser, la malice derrière chacun de ses mouvements, le génie qui l’anime, et bien entendu sa nudité... on comprend pourquoi elle devient instantanément un fantasme pour les français dont les femmes portent encore le corset. Elle fait des émules, devient le fer de lance de la libération sexuelle des femmes. Elle a d’innombrables admiratrices qui veulent lui ressembler, et qui pour cela, exposent leur peau au soleil pour la faire brunir, coupent et plaquent leurs cheveux à sa manière, en utilisant une gomina qui porte son nom. 
Pour Jean-Isy de Botton, las de son travail et désireux de renouveler sa peinture, rencontrer Joséphine Baker est un mouvement judicieux et déterminant. Il y trouvera la nouveauté qu’il recherchait puisque, satisfait, il écarte la toile du bûcher. 
Joséphine dansera toute sa vie, notamment pour soutenir les soldats mobilisés sur la ligne Maginot. Elle partage avec eux rations et détresse. 
Se disant prête à mourir pour la France qui selon ses propos est « le pays qui lui a tout donné » Joséphine maintient tout de même un lien avec les Etats-Unis en s’impliquant dans la défense des droits des minorités. Pendant la Seconde Guerre mondiale, elle rejoint les Forces Françaises Libres au service du contre-espionnage. «Un jour, j’ai réalisé que j’habitais dans un pays où j’avais peur d’être noire. C’était un pays réservé aux Blancs. Il n’y avait pas de place pour les Noirs. J’étouffais aux États- Unis. Beaucoup d’entre nous sommes partis, pas parce que nous le voulions, mais parce que nous ne pouvions plus supporter ça... Je me suis sentie libérée à Paris. » C’est donc naturellement que Joséphine Baker rejoindra le 30 novembre prochain, rue Soufflot, les femmes et les hommes qui ont fait la France.



Joséphine Baker en 1948 - studio Harcourt​​​​​​​.

BIOGRAPHIES 

JEAN-ISY DE BOTTON
 
Jean-Isy de Botton (1898-1978) est un artiste pluridisciplinaire français qui fera sa renommée grâce à la peinture. Il emmènera son succès avec lui aux États-Unis où il s’exile après l’annonce de la déclaration de guerre de 1939. Tout au long d’une carrière qui débutera autour de ses vingt ans, il sera un artiste vedette, coqueluche, invité par la famille royale anglaise, acheté par Chaplin, Churchill, Hemingway, Valéry, sollicité par le musée de la Marine à Paris pour l’exécution d’une fresque, ou par l’opéra de San Francisco pour la réalisation des décors.

JOSÉPHINE BAKER
Joséphine Baker (1906-1975), chanteuse, danseuse, actrice, quitte son Missouri natal à l’âge de 19 ans pour Paris. C’est dans la capitale du pays des droits de l’Homme, pays pour lequel elle se dit prête à donner sa vie en juste retour de ce que la France lui a donné, (selon elle tout), que débutera pour elle, et de façon fulgurante, sa nouvelle vie de chanteuse danseuse. A Paris, elle se sent libérée du racisme américain, l’égale des autres citoyens. Elle sera la femme la plus photographiée de son époque, la plus courtisée, fantasmée, adulée. Madame Baker est la première star noire d’Europe.


Joséphine Baker en 1939,Studio Harcourt.