UNE RARE TÊTE DE GÉRÔME et LALIQUE VENDUE PRÈS DE 40 000 €


MISE À JOUR DU 17/12/21

Une petite tête antiquisante réalisée par le peintre et sculpteur Jean-Léon Gérôme (1924-1900) en collaboration avec le joaillier-verrier René Lalique (1860-1945), réalisée en 1892 était également proposée dans cette vente. Représentant la divinité grecque Méduse, cette œuvre, qui nous invite à nous replonger dans les grands mythes fondateurs a été adjugée 38 400 €. (frais compris).

"Il se dessine sur le marché une tendance pour la sculpture de la seconde moitié du XIXème siècle, confortée par ces 3 beaux résultats" indiquent les experts Alexandre Lacroix et Elodie Jeannest.

Au-delà du bleu ravissant du masque en verre de Lalique enchâssé dans le bronze ciselé par Gérôme (patiné médaille, coloré argent et or), cette statue raconte comment le mouvement philhellène se développa en Europe jusqu’à l’indépendance de la Grèce en 1821, comment les grandes fouilles archéologiques dans les Cyclades furent organisées et comment l’ère industrielle vit naître une bourgeoisie désireuse de montrer ses richesses par l’intermédiaire de tenues vestimentaires élégantes, d’accessoires précieux et d’intérieurs décorés. L’œuvre rapporte comment cette ère industrielle tumultueuse et invasive fit croître au XIXème siècle un désir de nature, d’extérieur et de renouvellement de la beauté, et comment tous ces éléments initièrent le mouvement de l’Art Nouveau. Enfin elle nous parle, puisque c’est ce qu’elle représente physiquement, de la divinité grecque Méduse, et nous invite à nous replonger dans les grands mythes fondateurs. La sculpture est estimée, grâce à l’expertise et l’attribution d’Alexandre Lacroix et Elodie Jeannest de Gyvès, autour de 10 000/ 15 000 €. 
La recherche du beau et la polychromie (à laquelle Lalique apporte son concours via le travail du verre bleu) étant commune à Charles Cordier et Jean-Léon Gérôme, c’est tout naturellement que cette sculpture vient enrichir la vente dirigée par Maître Xavier Dominique et Maître David Nordmann.
Pour mémoire, rappelons que mercredi 17 novembre dernier, un médaillon intégrant un masque de Méduse signé René Lalique, similaire au nôtre, a atteint une vente record de  384 000€. La cote de René Lalique est au plus haut, le travail de Jean Léon Gérôme suscite toujours un grand intérêt et est une source d’inspiration pour de nombreux artistes influents (le réalisateur Ridley scott, la danseuse Hajiba Fahmi…). 

                             













 

Jean-Léon Gérôme (1824-1904), Tête antiquisante
Bronze à patine médaille et peinture argent et visage en verre bleu de René Lalique (1860-1945)
H. 12 cm 
Date de création 1892.
Estimation : 10 000 € - 15 000 €

BEAUTÉ ANTIQUE 
Les époques se croisent, et nos deux hommes se suivent dans ce siècle trépidant. Leurs contemporains disent d’eux : « depuis l’exposition universelle de 1900, nul n’est autorisé à se définir comme amateur d’art s’il ne possède pas un Lalique » Edmond Haraucourt, poète, journaliste et conservateur du musée des monuments au sujet de René Lalique. Quant à notre sculpteur Jean-Léon Gérôme, un article du Figaro du 15 novembre 1897 emploie ces mots : « M. Gérôme, de l’Institut, le peintre éminent qui sait si finement modeler, si précieusement patiner les jolies statuettes, petits chefs d’œuvre d’art précieux que l’on admire à ses expositions. ». Ce dernier est fasciné par la période antique. Rien de surprenant : la concomitance de sa naissance avec l’indépendance de la Grèce qui débouche sur une période artistique néo-classique et académique justifie cette attraction. 

Par ailleurs il se met à la sculpture puisqu’il est d’abord peintre à succès international durant les grandes expéditions archéologiques de Delphes, Athènes, Délos, Olympie, Corinthe… Cet engouement pour la Grèce antique touche avec plus ou moins de fièvre, peintres, sculpteurs, architectes, couturiers et musiciens : Debussy, fasciné par la présentation du tirage de la Colonne des danseuses de Delphes sur les pavillons de l’escalier Daru au musée du Louvre, compose la première pièce introductive de Préludes : Danseuses de Delphes. Mariano Fortuny crée l’emblématique robe Delphos inspirée par L’aurige de Delphes, et portée par Sarah Bernhardt qui voit défiler autour d’elle René Lalique et Jean-Léon Gérôme. Le premier lui créera plusieurs parures de bijoux quand le second se chargera de faire son buste en polychromie. 

MASQUES
Le visage en verre bleu de notre effigie, est ce que l’on appelle dans la statuaire, un masque, c’est-à-dire une tête tranchée au milieu du crâne incluant parfois la naissance du cou, les oreilles et la chevelure. Les masques antiques de théâtre inspirent leur production ; ils deviennent omniprésents durant le XIXème. Exhumé des fouilles grecques commanditées par le gouvernement français, le masque connaît « une véritable seconde vie décorative tout au long du XIX siècle. Largement diffusés par des relevés archéologiques, masques tragiques et masques comiques sont déclinés, avec plus ou moins de bonheur, en pendants, jusqu’aux années 1910 » nous explique Edouard Papet conservateur au musée d’Orsay. On les retrouve partout, aux murs des ateliers de peintres, dont celui de Jean-Léon Gérôme, mais aussi sous formes de camées, masques mortuaires dont celui de Napoléon Bonaparte ou de « L’inconnue de la scène », mascarons architecturaux sur la Fontaine Louvois. «… ils procèdent d’une quête fiévreuse sur le visage, de sa reproduction naturaliste ou illusionniste, de sa stylisation, de sa déformation, ou de sa destruction formelle » explique Gerald Martin Ackerman (Historien et professeur au Pomona College/ Californie). Cette quête est visible dans les toiles de Jean-Léon Gérôme : La vérité sortant du puit armée de son martinet pour châtier l’humanité, Ave Cesar, morituri te salutant, Pollice verso,  L’école d’Athènes. A l’évidence, le peintre s’inspire des traits exagérés des masques de théâtre qu’il possédait sur son lieu de travail. 

MODERNITÉ
De trente-cinq ans le cadet du sculpteur, René Lalique est membre de la « Société de l’art précieux » fondée par Gérôme. Elle est entièrement dédiée aux objets d’art décoratifs. Le lien entre les deux hommes symbolise la continuité de deux époques, et cette statue qu’ils réalisent ensembles peut se voir comme la charnière qui maintient ces époques : la partie en bronze représente la période académique, celle en verre la modernité. L’instant de bascule entre néo-classique et Art Nouveau est piégé dans la statuette qui prend des allures de totem. De surcroît, l’œuvre est rare : presque aucune œuvre de ce genre n’est recensée dans le travail de Gérôme. Il s’agit d’une production confidentielle et intimiste, effectuée de façon fulgurante au point que le sculpteur en oublie lui-même l’existence.  

Enfin ne manquons pas de rappeler ce que la statue représente physiquement : une femme. Et rappelons également l’amour (dévastateur) de René Lalique pour les femmes, un amour qui n’avait d’égal que celui qu’il avait pour le travail et l’envie de créer une beauté nouvelle et plus accessible. La femme représentée en bronze et en verre s’appelle Méduse, sa beauté avait suscité la jalousie d’Athéna car Poséidon s’en était épris. Athéna transforma la chevelure de la magnifique jeune femme en serpents et la dota du pouvoir de pétrifier quiconque croiserait son regard. Une histoire de beauté, de désir et de mutation. 

« Cher Monsieur, j’ai reçu le petit masque, il est d’une couleur charmante […] nous verrons l’effet qu’il produira quand dans trois semaines nous auront monté la figure entière. ». Echange épistolaire entre Jean-Léon Gérôme et René Lalique datant du début de l’année  1892.