PRÈS D'UN MILLION D'EUROS POUR UNE COLLECTION PARTICULIÈRE AUTOUR DE BONNARD, VALLOTTON ET STEINLEN AUX ENCHÈRES


Le 8 avril 2022, la maison Ader mettait en vente des estampes de Pierre Bonnard (réalisées pendant la période nabi) et des deux artistes suisses Félix Vallotton et Théophile-Alexandre Steinlen, réalisées à la toute fin du XIXe siècle. Des livres illustrés et sculptures en bronze venaient compléter la vente. Provenant tous d’une collection particulière, c'est près de 300 lots qui étaient dispersés aux enchères. La vente totalisait 991 708 € (frais inclus).
Expertisées par Madame Hélène Bonafous-Murat, les estampes de la vente donnaient autant à voir les découvertes esthétiques de l’époque que la variété des supports et des techniques. Les enchérisseurs présents en salle, en live et au téléphone montrèrent leur grand intérêt pour ces estampes, récompensant alors chacun des thèmes de cette vente -  inspiration japonaise, scènes intimes et vues de Paris - par de belles adjudications. 71 686 € (frais inclus) récompensèrent le paravent de Pierre Bonnard "La promenade des nourrices", quant aux "Intimités" de Félix Vallotton, elles furent adjugées 403 205 € (frais compris).


Pierre Bonnard, le « nabi japonard »
À la fin du XIXe siècle, une douzaine de jeunes artistes français et européens s'unissent pour affirmer leur volonté de renouveler la peinture. Ils choisissent de se baptiser les « Nabis », ce qui signifie « Prophètes » en hébreu. Pendant une courte période, de 1888 à 1900, Paris devient le berceau de leur fièvre créatrice. Ces artistes, fortement influencés par les idées symbolistes de Paul Gauguin, sont aussi très marqués par la vague du japonisme. Les nabis sont notamment séduits par l'emploi de couleurs franches et par le renouvellement de la perspective atmosphérique. En effet, sur les estampes japonaises, le sujet est traité en plongée ou contre-plongée avec un horizon déplacé, positionné soit très haut, soit très bas.
Pierre Bonnard est l’un des fondateurs de ce mouvement d'avant-garde. En 1890, l’exposition d’estampes japonaises à l’École des Beaux-arts de 1890 est pour lui une véritable révélation. Il affectionne particulièrement les maîtres de l’ukiyo-e, grands maîtres de la gravure sur bois. Celui qu’on surnommait le « nabi japonard » élargit sa pratique de la peinture aux panneaux décoratifs et au mobilier. Aussi, dans la vente du 8 avril, les collectionneurs se réjouiront de découvrir un paravent de Pierre Bonnard réalisé en 1899. 

« Ce paravent synthétise les recherches de Bonnard vers un nouvel art décoratif. Les théories nabies, la fascination pour l’estampe japonaise et le thème des jeux enfantins se trouvent ici conjugués dans un équilibre parfaitement abouti. La recherche des vides et des pleins, d’une grande complexité, sert l’unité des quatre feuilles conçues comme un seul panneau. Les silhouettes d’enfants et celle, cocasse, du petit chien, apportent une dynamique aux masses figées, ornementales, des trois femmes, de la balustrade et de la frise de fiacres. » Cartel de l’exposition « Côté jardin. De Monet à Bonnard », musée des Impressionnismes, Giverny, 19 mai-1er novembre 2021, pour un paravent similaire. 


Félix Vallotton, le graveur avant-gardiste
La vente met également à l'honneur un bel ensemble d'estampes résolument novatrices de Félix Vallotton (1865-1925). À partir de 1890 et pendant toute sa période nabie, il s'adonne presque exclusivement à la gravure. Dans un premier temps, sa motivation est économique : ses gravures lui assurent un revenu régulier puisqu'il collabore avec de nombreux journaux. Mais en réalité, Félix Vallotton aime exercer la gravure. Il s'empare de la technique, l'assimile, la fait sienne, taille lui-même ses matrices, afin de contrôler tout le processus créatif et les facteurs qui entrent en jeu lors de l'impression (encrage, pression, type de papier). Au-delà de la maîtrise classique de l’estampe, Félix Vallotton contribue à un véritable renouveau stylistique de la gravure sur bois. Sur ses estampes le contraste important entre le noir et le blanc donne naissance à des formes géométriques. Des silhouettes découpées et dynamiques voient le jour. Il deviendra une source d'inspiration pour les auteurs de bandes dessinées.
Le style singulier de Félix Vallotton trouve également sa source dans les estampes japonaises, qu'il collectionne. Comme les maîtres nippons, il creuse la planche avec un couteau dans le sens du bois. Félix Vallotton leur emprunte également la thématique de la vie quotidienne, en témoigne l'estampe Le Bain, qui retiendra toute l'attention des collectionneurs. Félix Vallotton puise également son inspiration dans la photographie, notamment pour ses cadrages et points de vue. Il n'est pas rare qu'il supprime la ligne d'horizon, ramenant les personnages dans un plan frontal ou en légère plongée. Grâce à ces procédés, il donne l'illusion au spectateur de participer à la scène, comme dans cette estampe La Paresse proposée à la vente.


Dans l'intimité des Nabis
Parmi cette collection, les connaisseurs se réjouiront de trouver l'épreuve Le Confiant, une des premières scènes d’intérieur de Vallotton. Elle annonce la série des Intimités où Félix Vallotton, trois ans plus tard, traitera des déboires de la vie conjugale. Sur cette estampe, l'artiste présente un espace pictural sans perspective, donnant à penser que tous les éléments ont la même valeur. Seuls les contrastes – noir/blanc, formes simplifiées/motifs décoratifs – structurent la composition. En représentant un amant rabaissé qui cherche la consolation auprès de sa maîtresse, mise en scène imposante et digne, notre nabi se fait chroniqueur de l'émancipation féminine de la Belle Époque. Dans cette vente se trouve justement la suite complète de 10 planches Intimités réalisées par Félix Vallotton en 1897-1898. Comptant parmi les plus célèbres de son œuvre, ces épreuves démontrent toute la virtuosité de ses talents de graveur. Par des formes simples et de larges aplats, Vallotton parvient à exprimer les émotions et les sentiments de chacun des personnages. Son œil de dessinateur de presse saisit l'instant, ses bois gravés restituent une réalité sans détour, une vérité tranchante.

Si les nabis ont à cœur de développer une esthétique nouvelle, leurs thèmes restent ceux de toujours. Les scènes du quotidien, restituées avec une atmosphère intimiste et suggestive, ont une place centrale dans leur œuvre.
Dans cette vente, retenons les estampes Enfant à la lampe, Scène de famille, Le Verger : Pierre Bonnard a comme source inépuisable sa propre vie. Sa femme Marthe en est le modèle immuable.


Le Paris de la fin du XIXe siècle
La vente sera complétée par plusieurs estampes offrant différents points de vue de la capitale. Aux Quelques aspects de la vie de Paris, série de planches réalisée par Pierre Bonnard, répond L’Avenue, une très belle lithographie d'Édouard Vuillard réalisée en 1899. Elle fait partie du recueil Paysages et intérieurs que lui commande le marchand d’art et éditeur Ambroise Vollard. Cette suite ne fut pas un succès commercial, aussi Ambroise Vollard se résolut-il à vendre les estampes séparément. 

« Vuillard, qui dans Paysages et Intérieurs réalise une synthèse de ses styles précédents, se désintéresse de la lithographie après l’apparition de son album. Cette série représente donc le sommet de son œuvre graphique mais aussi sa conclusion ». Fleur Roos Rosa de Carvalho, Marije Vellekop, Printmaking in Paris; The Rage for prints at the fin de siècle, Amsterdam, Van Gogh Museum, 2012, p. 107.

Enfin, la vente réunira également des œuvres de Théophile-Alexandre Steinlen. D’origine suisse, il est lui aussi profondément attaché à Paris. La capitale lui offre une reconnaissance en tant que dessinateur de presse, mais aussi comme affichiste à l’œuvre engagée et humaniste. Théophile-Alexandre Steinlen est aussi reconnu comme « le peintre des chats » auxquels il consacre de nombreux dessins, peintures, sculptures ou gravures. Entre 1880 et 1890, Rodolphe Salis, directeur de la revue et du cabaret montmartrois du Chat Noir lui commande bon nombre de ces œuvres. Les modèles sont ses propres félins, hébergés dans sa maison de la rue de Caulaincourt rebaptisée « Cat’s Cottage ». De cette familiarité quotidienne avec les chats, Steinlen tire des lithographies et épreuves en bronze patiné qui seront proposées aux enchères le 8 avril par la maison Ader.



COLLECTION D'ESTAMPES AUTOUR DE BONNARD, VALLOTTON ET STEINLEN
vendredi 08 avril 2022 14:00
Salle des ventes Favart , 3, rue Favart 75002 Paris

INFORMATIONS SUR LA VENTE
Vente aux enchères publiques
Salle des ventes Favart
3, rue Favart 75002 Paris
Vendredi 8 avril à 14 h

Exposition publique
Salle des ventes Favart
3, rue Favart 75002 Paris
Mercredi 6 avril de 10 h à 18 h
Jeudi 7 avril de 10 h à 18 h

Téléphone pendant l’exposition : 0033 (0)1 53 40 77 10

Expert :
Hélène BONAFOUS-MURAT
hbmurat@orange.fr
Tél. : 0033 (0)1 44 76 04 32

Responsable de la vente :
Élodie DELABALLE
elodie.delaballe@ader-paris.fr
Tél. : 0033 (0)1 78 91 10 16






Pierre BONNARD
Scène de famille (en hauteur). 1893. Lithographie. 175 x 310 [275 x 425]. Bouvet 4. Impression en couleurs. Belle épreuve sur vélin blanc, numérotée et signée au crayon, soigneusement lavée, avec trace très claire d’oxydation persistante. Onglets de montage au bord gauche au verso. Belles marges (réduites, sans le timbre sec de la publication). Tirage à 100 épreuves pour L’Estampe originale. 
Estimation : 6 000 / 8 000 €




Pierre BONNARD
Enfant à la lampe. Vers 1897. Lithographie. 445 x 320 [570 x 430]. Bouvet 43 ; Johnson 15. Impression en couleurs. Très belle et fraîche épreuve sur chine volant, signée au crayon. Ondulations autour du sujet (normales, causées par la pression au tirage). Quelques rousseurs claires, essentiellement au bord droit du feuillet. Toutes marges. Tirage à 100 épreuves. A. Vollard éd. (Planche prévue pour un album d’estampes finalement non réalisé). 
Estimation : 8 000 / 10 000 €




Pierre BONNARD
La Promenade des nourrices, frise de fiacres. Paravent en 4 feuilles. Paris, Molines éd., 1899. Lithographie. Chaque 445 x 1450 [avec le cadre 470 x 1470]. Taille déplié : 1880 x 1470. Bouvet 55. Impression en couleurs. Belles épreuves sur vélin, légèrement vernies, montées sur châssis de chêne en 4 panneaux mobiles. Légères traces d’oxydation du vernis. Infimes accrocs en surface formant petites traces blanches, notamment dans le 1er panneau. Traces blanches en bas à gauche du 2e panneau. 
Estimation : 30 000 / 35 000 €




Pierre BONNARD
Le Verger. 1899. Lithographie. 355 x 330 [530 x 435]. Bouvet 56. Impression en couleurs. Très belle et fraîche épreuve d’essai, sur chine volant, signée au crayon, variante de la planche éditée, la pierre de trait (définissant notamment les troncs d’arbres) ici tirée en bleu foncé et non en noir, la pierre donnant la teinte des nuages ici plus bleutée. Rousseurs imperceptibles au bord droit. Toutes marges. Tirage définitif à 100 épreuves pour l’album Germinal (J. Meier-Graefe éd.).
Estimation : 5 000 / 6 000 €




Pierre BONNARD
Maison dans la cour. (Pl. pour Quelques aspects de la vie de Paris). 1899. Lithographie. 259 x 345 [410 x 533]. Bouvet 61 ; Johnson 10-3. Impression en couleurs. Très belle et fraîche épreuve sur vélin blanc mince, numérotée et signée au crayon. Annotation au crayon dans l’angle inférieur gauche : « pl. 4 ». Fins restes d’onglets de montage au bord gauche au verso. Un petit point d’encre en marge gauche. Toutes marges. Tirage à 100 épreuves. A. Vollard éd. 
Estimation : 8 000 / 10 000 €




Pierre BONNARD
Coin de rue vu d’en haut. (Pl. pour Quelques aspects de la vie de Paris). 1899. Lithographie. 210 x 368 [400 x 527]. Bouvet 70 ; Johnson 10-12. Impression en couleurs. Très belle et fraîche épreuve sur vélin blanc mince, numérotée et signée au crayon. Petite trace de colle dans l’angle inférieur droit. Double fin pli oblique dans l’angle supérieur gauche du feuillet. Toutes marges. Tirage à 100 épreuves. A. Vollard éd.




Édouard VUILLARD
L’Avenue. (Pl. pour Paysages et intérieurs). 1899. Lithographie. 410 x 305 [450 x 335]. Roger-Marx 33 ; Johnson 155-2. Impression en couleurs. Très belle et fraîche épreuve sur chine volant. Toutes marges. Tirage à 100 épreuves. A. Vollard éd. 
Estimation : 5 000 / 6 000 €




Félix VALLOTTON
Le Bain. 1894. Bois gravé. 225 x 180 [500 x 325]. Vallotton et Goerg 148 a. Très belle et fraîche épreuve sur vélin blanc, numérotée et signée au crayon bleu, collée par les angles sur le support de vélin jaune moutarde de l’édition, portant le timbre sec (Lugt 819). Petites traces d’épidermure ou d’oxydation en tête et au bord gauche, à l’emplacement d’anciens onglets de montage. Infimes plis cassés aux bords, notamment dans l’angle supérieur droit. Toutes marges. Tirage à 100 épreuves. Édition de L’Estampe originale. 
Estimation : 25 000 / 30 000 €




Félix VALLOTTON
Le Confiant. 1895. Bois gravé. 222 x 178 [320 x 250]. Vallotton et Goerg 161 a. Très belle épreuve sur vélin ivoire, numérotée et signée au crayon bleu. Petite décharge d’encre en marge inférieure. Infimes plis souples dans les angles inférieurs. Restes d’onglets de montage en tête au verso. Toutes marges. Tirage à environ 100 épreuves. 
Estimation : 10 000 / 12 000 €




Félix VALLOTTON
La Paresse. 1894. Bois gravé. 222 x 177 [310 x 252]. Vallotton et Goerg 169 c. Parfaite épreuve sur japon blanc, timbrée du monogramme (Lugt 1051a) et numérotée au crayon. Pli souple oblique imperceptible en marge gauche. Toutes marges. Tirage posthume à 25 épreuves. 
Estimation : 8 000 / 10 000 €




Félix VALLOTTON
Intimités. 1897-1898. Suite complète homogène de 10 pl. 1897-1898. Bois gravé. Vallotton et Goerg 188 à 197. Très belles épreuves sur vélin, annotées « t. a 25 ep. / 13 » et signées au crayon, accompagnées de la table récapitulative composée d’un fragment de chaque bois, également sur vélin, numérotée et signée. Toutes marges. Très rare. Tirage à 25 épreuves. Portefeuille de l’édition, imprimé sur le 1er plat, complet des cordons (défraîchi).
Estimation : 60 000 / 80 000 €




Théophile-Alexandre STEINLEN
L’Hiver. Chat sur un coussin. 1909. Lithographie. 590 x 485 [616 x 500]. Crauzat 293. Impression en couleurs. Très belle et fraîche épreuve sur vélin blanc fort, signée au crayon dans le sujet en bas à droite. Petits restes d’onglets de montage en tête. Toutes marges. Ed. Sagot éd.
Estimation : 4 000 / 5 000 €





Théophile-Alexandre STEINLEN
Chat allongé, tête dressée. Vers 1905-1906. Épreuve en bronze patiné, signée, annotée « cire perdue » et marquée « M » sous la base. 
Dim. : H. 8 x L. 22 x P. 12,7 cm.
Estimation : 4 000 / 5 000 €