QUELQUES ANECDOTES SUR LA VENTE DE LA COLLECTION ANDRÉ VASSEUR - Focus sur le lot 51




 
André Vasseur s’est constitué toute une collection de revues littéraires, collection vendue chez Ader les 1er et 2 mars 2023, dans sa totalité. Ces revues, qui sont apparues avec le développement de la presse au cours du XIXe siècle, sont un parfait témoin (sinon le seul) de la vie littéraire des siècles précédents. D’autant plus pour le théâtre, dont nous n’avons plus aujourd'hui qu’une trace partielle par les textes qui nous restent, mais dont les représentations sont perdues à jamais.

Le lot n°51 de la vente de la Collection André Vasseur est la revue Le Monde dramatique, fondée par Gérard de Nerval et Anatole Bouchardy en 1835. Composée de dix tomes, les deux premiers seulement ont pour directeur Gérard de Nerval, les suivants sont repris par Caboche, qui publie jusqu’en 1841 cette revue cherchant à donner un aperçu, semaine après semaine, des « spectacles anciens et modernes », comme le précise son sous-titre.


Une entreprise… romantique ?

Gérard de Nerval a vingt-sept ans lorsqu’il fonde sa revue aux côtés d’Anatole Bouchardy, et est encore désigné sous le nom de Gérard Labrunie. Il a hérité en 1834 de 30 000 francs de son grand-père paternel, qu’il a utilisés en partie pour effectuer un important voyage en Italie. De retour à Paris, il s’installe dans l’impasse du Doyenné aux côtés de son ami peintre Camille Rogier, et décide de mettre le reste de son héritage dans la création de sa revue.

À cette même période, il rencontre Jenny Colon, une actrice et chanteuse soprano, dont il tombe amoureux. Dans la mythification de l’image romantique de Nerval, qui connut une fin tragique en 1855, plusieurs historiens firent de cet amour non-réciproque un aspect fondamental de la vie de Nerval. Certains allèrent même jusqu’à faire de la revue Le Monde dramatique un témoignage de l’amour de Gérard de Nerval pour Jenny Colon : la revue serait une manière détournée pour Nerval de parler de celle qui occupe son esprit, en l’encensant dans des articles et en analysant les pièces dont elle fait partie.

C’est par exemple la vision qu’a développée Georges Bell dans le portrait qu’il dresse de Nerval en 1855 dans Études contemporaines : « quiconque veut se faire une idée exacte du mouvement artistique de cette époque doit consulter le « Monde dramatique » et quand il tiendra la collection dans ses mains, il ne pourra s’empêcher de tourner pieusement ces feuilles si magnifiquement illustrées, s’il songe que tout cela a été entrepris pour plaire à une femme et pour la glorifier ».

Néanmoins, ce n’est pas une vision partagée par tout le monde : J.-J. Lefrère, dans La Quinzaine littéraire d’octobre 1995, écarte cette hypothèse en soulignant que Jenny Colon n’est pas plus encensée qu’une autre actrice et ne prend pas une part plus importante dans la revue qu’une autre. Il semble donc que ce serait plutôt par amour pour le théâtre que par amour pour Jenny Colon que Gérard de Nerval monte cette revue.


Une ode au théâtre et à l’image

S’il est avant tout connu pour sa poésie, Gérard de Nerval accorde une place importante au théâtre dans sa vie. Il collabore à la rédaction de quelques pièces, donne au théâtre une place importante dans sa production poétique, comme dans la nouvelle poétique Sylvie (1853) qui tourne autour de l’amour que le narrateur porte pour une actrice, et dès 1830 il soutient Victor Hugo dans la fameuse bataille d’Hernani, qui annonce son inscription dans la mouvance romantique du milieu du siècle.

Cet intérêt pour le théâtre transparaît nettement dans la revue, et est accompagné d’un soin apporté aux images. Le texte introductif au premier tome, rédigé par Frédéric Soulié, justifie cet appel aux images dans une revue littéraire : « Nous sommes dans un siècle où on n’aime le théâtre qu’à condition qu’il parle aux yeux aussi bien qu’à l’esprit. Cette exigence, nous la comprenons et nous y répondrons. À côté de l’analyse de chaque pièce, une gravure, représentant la décoration, les personnages de la pièce, analysera pour ainsi dire la partie matérielle du théâtre. À côté de chaque biographie, un portrait fera voir au public celui dont il va lire l’histoire ». D’où la qualité des illustrations, qui sont réalisées pour la plupart par des proches de Gérard de Nerval.

Nerval s’est en effet constitué un cercle amical autour de l’impasse du Doyenné qui jouxtait le Louvre. Baptisé le Petit-Cénacle, ce cercle s’inspire du Cénacle rassemblé autour de Victor Hugo à la même période. Il est en grande partie composé d’artistes, dont les graveurs Célestin Nanteuil, Camille Rogier, etc. qui ont fourni de belles illustrations de la revue. L’intérêt pour l’image est poussé jusque dans le détail des lettrines qui rivalisent d’inventivité.

Le changement de direction de 1836

Nerval utilise sa revue pour développer ses idées sur le théâtre : il veut notamment mettre l’accent sur le théâtre étranger, notamment chinois et indien, dans le goût orientaliste du XIXe s., mais il veut aussi remettre en avant le théâtre ancien, revenir à ses sources. Les deux premiers tomes sont porteurs de ces volontés.

Néanmoins, par une gestion financière compliquée et une trop grande ambition, le projet tourne court, et est repris par un créancier de Nerval, Caboche, qui le fit tenir encore jusqu’en 1841, pour obtenir un total de dix volumes, avec une même attention apportée aux images fournies dans la revue et au choix des artistes qui les réalisent (Daumier, Gavarny, Nanteuil, Leleux, etc.).




Une revue emblématique de la collection d’André Vasseur
La revue Le Monde dramatique est donc par essence une pièce centrale de l’impressionnante collection d’André Vasseur. Elle permet d’entrapercevoir le dynamisme de la scène théâtrale du milieu du siècle, ses acteurs, ses tendances, ses lieux… et instruit peut-être mieux encore le lecteur actuel qu’un contemporain de Gérard de Nerval.

Cette revue et tant d’autres de la collection d’André Vasseur sont donc un morceau d’histoire, parmi les plus vivants et les plus savants du XIXe et du XXe s.






LE MONDE DRAMATIQUE
Revue des spectacles anciens et modernes 1ère série : Tome I, 9 mai 1835-Tome VII, 1838 ; 2e série : Tome I, 1839-Tome III, 16 septembre 1841. Paris, Fondateurs : Gérard de Nerval et Anatole Bouchardy. Textes de Gérard de Nerval, Berlioz, Alexandre Dumas, Théophile Gautier, Roger de Beauvoir, Jules Janin, Jacques Arago, Alphonse Karr, Célestin Nanteuil, Gavarni, Henry Monnier, Napoléon Thomas, Louis Lassalle, Camille Rogier, Louis Boulanger, etc. Collection complète. 10 vol. in-4 reliés (plats frottés). Joint : Au Tome I (1ère série) : – 1 L.A.S. de Célestin Nanteuil (s.d.) ayant trait à la revue ; – 2 cartes d’admission aux obsèques de Rossini (21 novembre 1868) ; – Notes manuscrites de Vasseur (4 ff.) ; – La copie d’un article de La Quinzaine littéraire (octobre 1995) ; – 1 texte de J. Guillaume, S.J. : « Nerval et Le Monde Dramatique, extrait de la revue Les Études classiques, 1971. Au Tome II (1ère série) : – 1 L.A.S. de Gérard de Nerval, signée G. Labrunie (s.d.), n’ayant pas de rapport avec la revue ; – 1 L.A.S. de Jenny Colon (6 mai 1838) à M. Fontenay, annonçant qu’elle est enceinte et qu’elle joue pour la dernière fois ; – 1 portrait de Jenny Colon. Exemplaire de J. Brivois avec ses notes manuscrites signées sur les pages de garde du Tome I : « – Les 7 planches de modes du tome IX s’y trouvent ainsi que la 25e et dernière livraison du tome 10. Il ne manque que la feuille 12 du tome IX et la table des matières du tome X, introuvables. – N.B. Naturellement cet exemplaire ne contient pas le second semestre de 1839 in-folio dont le seul exemplaire connu – et d’ailleurs incomplet – est à la Bibliothèque Nationale. – Les feuilles d’annonce du tome X non décrites par Vicaire se trouvent dans le présent exemplaire. Faute de pagination : 314-320 au lieu de 322-328. – Le portrait de Madame Dorval dans le rôle de Catarina – par Célestin Nanteuil – se trouve en tête du vol. Il est rare. Et le portrait de Taglioni p. 341 y est également. » Sur la page de garde du Tome II (1ère série) : « La planche de Macbeth Acte I Scène I (non indiquée à la table) s’y trouve p. 88. Elle est rare. » Sur la page de garde du Tome IV (1ère série) : « En plus des gravures indiquées à la table, il y a : Fanny Elssler p. 97, L’Hôtel de Bourgogne p. 145, Les deux Familles p. 155. Il y a 2 frontispices différents. » Et sur la page de garde du Tome II (2e série) : « Manque la feuille 12 (p. 177 à 192) : elle manque à presque à tous les exemplaires, mais les 7 gravures de mode (rares) s’y trouvent au complet (p. 236, 270, 296, 348, 364, 396, 430). En regard de la page 380 : planche double de Daumier. » Quelques rousseurs.
10 000 - 12 000 €












Informations sur la vente :

Revues littéraires des XIXe et XXe siècles
Collection André Vasseur - Au profit de la fondation Robert Ardouvin

1er mars : lots 1 à 355
2 mars : lots 356 à 686



EXPOSITION PUBLIQUE :

À l’étude ADER
3, rue Favart 75002 Paris

Mardi 28 février de 11 h à 18 h
Mercredi 1er mars de 11 h à 12 h



RESPONSABLES DE LA VENTE :

Marie-Axelle Couppé
macouppe@ader-paris.fr
01 80 27 50 22

Victor Dumont
victor.dumont@ader-paris.fr
01 53 40 77 10