LETTRES DE MONET, RODIN ET LACAN AUX ENCHÈRES




La vente de lettres et manuscrits autographes qui aura lieu dans la salle des ventes Favart de la maison Ader les lundi 13 et mardi 14 mars 2023 présente de nombreux documents d’auteurs et d’époques variés. Ces pièces sont souvent extraites de correspondances plus larges prenant place dans un contexte particulier, qu’il convient de mettre en lumière pour comprendre au mieux les enjeux de ces échanges. Dans ces écrits, la petite histoire se mêle à la grande et dresse le tableau d’une époque comme d’un personnage. Nous avons sélectionné trois lettres de cette vente, écrites respectivement par Claude Monet, Auguste Rodin et Jacques Lacan.



Claude Monet à Londres

Claude Monet a réalisé plusieurs voyages à Londres au cours de sa vie. Le premier est effectué par nécessité, en 1870, alors que le peintre fuit la France, en guerre contre la Prusse, avec sa première épouse, Camille Doncieux. Son ami Frédéric Bazille est tué au cours de cette guerre sur le champ de bataille de Beaune-la-Rolande. Il retrouve de l’autre côté de la Manche Pissarro, Daubigny, le marchand Paul Durand-Ruel, et découvre les paysages londoniens couverts de brouillard.
Marqué par ce voyage, il saisit l’occasion de l’installation temporaire de son fils Michel dans la ville anglaise pour y retourner trois fois entre 1899 et 1901. Monet est un peintre reconnu à cette époque, il peut donc se permettre de s’installer au luxueux hôtel Savoy. La lettre est justement rédigée sur un papier à l’en-tête de cet hôtel et est destinée à sa seconde épouse, Alice Hoschedé. L’hôtel est en face de la Tamise juste à côté du Waterloo Bridge et non loin du Charing Cross Bridge et du Parlement de Londres, les trois thèmes privilégiés de la quarantaine de toiles qu’il réalise dans la ville anglaise. Comme il le mentionne dans sa lettre, Monet s’est probablement installé sur le balcon de son hôtel pour admirer le paysage et peindre : « par un clair de lune admirable et j’ai longtemps été à admirer la Tamise de mon balcon ».
Les toiles qui résultent de ce travail témoignent des différentes recherches du peintre dans sa réalisation plastique. Il poursuit son travail avec acharnement (« je commence à être las de ce travail continuel sans un jour d’arrêt »), reprenant notamment les séries avec ses différents tableaux sur le Parlement de Londres, et poursuit également ses recherches autour de la technique impressionniste. Il s’inspire pour cela des reflets sur la Tamise et de l’important brouillard, le Fog anglais installé dans les rues de Londres tout au long du XIXe s. Mais il s’en plaint également : « vous n’avez pas le brouillard qui souvent obstrue le soleil. Malheureusement comme à Giverny le baromètre baisse et l’on sent que ça ne va pas durer j’en serais désespéré pour mes pauvres toiles qui commencent à m’inquiéter ».

La lettre fait mention d’un événement bien précis, un rendez-vous que le peintre eut avec Georges Moore : « j’ai passé une bonne soirée chez G. Moore, un intéressant vieux garçon. Ce romancier et critique d’art irlandais a passé une partie de sa jeunesse en France, entre 1873 et 1880. Étudiant à l’Académie Julian pendant cette période, dans la volonté de devenir peintre, il côtoie les impressionnistes ainsi que Zola qui a exercé une influence importante sur son œuvre écrite. C’est grâce à cet écrivain, et notamment son livre Modern Painting (édité à Londres en 1893), que les peintres impressionnistes vont commencer à être reçus par un public anglais. Il n’est donc pas étonnant que leur conversation ait tourné autour « de Paris, de Manet et des uns et des autres, d’art en général ». Il mentionne « plusieurs esquisses de Manet, et Degas » qui appartiennent au critique, ce qui peut être mis en lien avec le portrait exécuté par Manet de George Moore, aujourd'hui conservé au Metropolitan Museum (inv. 29.100.55).

Cette lettre est enfin un témoignage de cet important travail de Monet autour des toiles londoniennes, à Londres puis à Giverny, qui a abouti à l’un des plus grands succès de sa carrière : l’exposition « Vues de la Tamise à Londres » à la galerie parisienne Durand-Ruel en mai et juin 1904. Sur les trente-sept toiles exposées, de nombreuses sont aujourd'hui conservées dans des musées, comme Londres, le Parlement. Trouée de soleil dans le brouillard (Musée d’Orsay, inv. RF 2007), Le Parlement de Londres (Palais des Beaux-Arts de Lille, inv. P 1734), ou encore Le Parlement de Londres, soleil couchant (National Gallery of Art de Washington, inv. 1963.10.48).

Cette lettre est donc le témoignage d’une période charnière dans le travail de Claude Monet qui s’affirme dans sa technique et ses intérêts artistiques.







Lot 20 - Claude MONET (1840-1926).
L.A.S. « Claude », Londres Mardi 7 h. du soir [mars 1900 ?], à sa femme Alice
4 pages in-8 à en-tête du Savoy Hotel.
2 000 / 2 500 €




Une lettre d’Auguste RODIN

Rodin écrit sa lettre en 1893, alors qu’il réalise un voyage à Anvers, « avec Puvis de Chavannes et Cazin ». Cette lettre est entièrement dédiée à Camille Claudel, même si elle n’en est pas la destinataire. 1893 est un tournant dans la carrière de la sculptrice. En 1891, elle s’affirme sur la scène artistique en intégrant le jury de la Société Nationale des Beaux-Arts sous l’impulsion de Rodin, mais c’est aussi dans ce début de décennie qu’elle prend ses distances affectives avec l’artiste qui fut son maître et son amant.

Si l’artiste a déjà pu exposer deux sculptures au Salon des Artistes Français, elle n’avait jusque-là que peu de visibilité, travaillant dans l’atelier de Rodin, en collaboration avec le maître sur ses œuvres. À partir de 1886, elle développe un travail plus personnel, tout en renforçant sa relation avec Rodin. Ce rapprochement coïncide avec une transformation de la scène artistique, sous l’impulsion de la création du Salon National des Beaux-Arts en 1889.

Une première ébauche de Société Nationale des Beaux-Arts avait été créée en 1862 par des artistes souhaitant une indépendance du Salon officiel, jugé trop rigide notamment par Louis Martinet et Théophile Gautier. Deux ans plus tard, à sa suite, prend corps le Salon des Refusées, comme deuxième voix contestataire du Salon. Néanmoins, les faibles recettes du Salon National des Beaux-Arts organisé par la Société du même nom ne permettent pas une grande longévité et la Société est dissoute en 1865 sans avoir pu concurrencer réellement le Salon officiel.

Elle est refondée en 1890 par Meissonnier, qui entraîne avec lui des artistes importants comme Puvis de Chavanne, Carolus-Duran, Breslau, et Rodin. Dès sa création, il a pour volonté d’inclure plus de diversité dans ses présentations, permettant notamment aux femmes et aux artistes étrangers d’exposer plus librement, voire, comme ce fut le cas pour Camille Claudel, de devenir sociétaire. La lettre de Rodin en est le témoignage : « écrivez et dites à Mademoiselle Claudel qu’elle est sociétaire, par le vote de la délégation ».

Cette lettre nous indique également l’évolution du lien affectif entre Rodin et Camille Claudel : Rodin ne lui adresse pas directement la lettre, car Camille Claudel a souhaité prendre ses distances avec le sculpteur. Il tient néanmoins une position d’aide discrète et indirecte dans la lettre : « Il est très urgent que ce lui soit dit, pour ne rien laisser au hazard et qu’elle n’oublie pas que ceux qui ont du talent ont à se prémunir toute leur vie contre les accidents jaloux d’eux », et c’est une position qu’il continue d’adopter envers Camille Claudel pendant de nombreuses années.





Lot 24 - Auguste RODIN (1840-1917)
L.A.S., [1893], à son cher Debraisnes ; 2 pages in-8 (papier en partie insolé, traces de collage au dos).

Sur Camille Claudel et la Société Nationale des Beaux-Arts.
1500 / 1 800 €



Une des dernières recherches de Jacques Lacan aux enchères

Jacques Lacan est un psychiatre et psychanalyste français. Il commence à faire ses preuves au début du siècle, prenant la suite de Freud en France. Il réalise son internat dans le service d’Henri Claude à la « Clinique des maladies mentales et de l’encéphale » à Sainte-Anne, jusqu’en 1931, ce qui le fait s’intéresser tout particulièrement à la psychiatrie.

C’est à cette époque qu’il se rapproche du surréalisme. Il commence par lire la revue Surréalisme au service de la révolution, prend contact avec Salvador Dali puis André Breton, aussi intéressés par les concepts freudiens. C’est cet environnement qui va lui apporter une certaine popularité alors que la première génération de psychanalystes ne s’intéresse que peu à ses premiers travaux.

Il obtient le titre de médecin-chef des asiles en 1934 mais préfère rester psychanalyste à son compte. Il subit un désintérêt de la part des autres psychanalystes réunis au sein de la Société psychanalytique de Paris, dont il n’est titularisé qu’en 1938.

Il ralentit ses activités de psychanalyse pendant la guerre, pour s’affirmer sur le devant de la scène psychanalytique juste après-guerre. Le contexte est tendu, puisqu’on sort à cette période de ce qui fut appelé les « Grandes Controverses » qui opposent en Angleterre Anna Freud, défendant une orthodoxie freudienne, et Melanie Klein, séduite par les nouvelles perspectives métapsychologiques et cliniques. Lacan répond plutôt de Klein, et décide à partir de cette période de s’impliquer plus en avant dans les débats scientifiques.

Il travaille notamment à partir de 1947 sur l’agressivité et sur le transfert. Ce sont ces recherches qui sont particulièrement développées dans ce manuscrit. Il essaye notamment de réfléchir à cette notion de transfert en psychanalyse, afin de la présenter à son public, mais il revient aussi sur la célèbre analyse de Dora publiée par Freud au début du siècle, s’inscrivant toujours dans cette continuité, mais poussant plus loin l’analyse initiale.

Ce manuscrit est donc un témoignage de son approche plus didactique, de sa volonté de partager son travail, mais aussi de ses dernières recherches de 1950.





Lot 229 - Jacques LACAN (1901-1981). Manuscrit autographe, La Fonction dialectique de la psychanalyse ; 46 pages in-4.
4 000 / 5 000 €



Très intéressant manuscrit de travail sur le transfert et la notion de frustration en psychanalyse. Brouillon ou manuscrit de travail d’une conférence, abondamment raturé et corrigé, paginé 1 à 10, 11A à 24A, puis 11 à 31. Le manuscrit, au stylo bleu, avec soulignures et quelques additions au stylo rouge, est en premier jet, retravaillé et continué. On retrouve les thèmes abordés dans l’Intervention sur le transfert au Congrès des psychanalystes de langue romane de 1951, et dans son étude Fonction et champ de la parole et du langage dans la psychanalyse (1953), recueillies dans les Écrits. Plus loin, il étudie la célèbre analyse de Dora par Freud.







LETTRES & MANUSCRITS AUTOGRAPHES

lundi 13 mars 2023 14:00
LOTS 1 À 244

mardi 14 mars 2023 14:00
LOTS 245 À 453

Salle des ventes Favart , 3, rue Favart 75002 Paris



Expert :

Thierry BODIN

Syndicat Français des Experts
Professionnels en Oeuvres d’Art
Les Autographes
45, rue de l’Abbé Grégoire
75006 Paris
lesautographes@wanadoo.fr
Tél. : 01 45 48 25 31
Fax : 01 45 48 92 67


Responsables de la vente :

Marc GUYOT
Assisté de Clémentine DUBOIS
marc.guyot@ader-paris.fr
Tél. : 01 78 91 10 11

Téléphone pendant l’exposition :
01 53 40 77 10