La vente « Côté XXe » en deux parties du jeudi 6 et vendredi 7 avril 2023 proposera de nombreuses œuvres qui, sans nul doute, intéresseront vivement la plupart des amateurs et collectionneurs. Des vases Art Nouveau à la céramique la plus moderne, presque tous les mouvements artistiques sont représentés, et avec eux apparaissent dans le catalogue les grands noms de créateurs qui ont traversé le XXe s. Des pièces représentatives de leur travail et de leur talent sont à retrouver durant ces deux jours de vente.

Le lot 155 de la vente est une sculpture assez connue des collectionneurs, réalisée par un artiste particulièrement apprécié : Demeter Chiparus. Cet artiste roumain est arrivé à Paris après un passage en Italie. Il y finit sa formation, et commence très tôt à exposer ses œuvres. Il obtient rapidement une reconnaissance, ses œuvres répondant à l’esthétique recherchée à partir des années 1910. Il trouve en effet ses sources d’inspiration dans l’Art Nouveau, puisqu’il aime reprendre le motif de la jeune femme dansant, popularisée à travers la figure de Loïe Fuller, mais l’adapte aux prémices du goût Art Déco : il mobilise des matières précieuses et exotiques comme l’ivoire, ses sujets eux-mêmes sont inspirés de cultures éloignées dans l’espace et dans le temps, et le tout a un aspect particulièrement décoratif.

On retrouve dans la délicate sculpture Tanara ces différents aspects : le modèle a la grâce d’une danseuse et un costume qui ne se rapproche pas des tenues classiques de ballet. À l’époque de la création de cette sculpture, vers 1925-30, les ballets exotiques étaient particulièrement appréciés à Paris. Les ballets russes, notamment, sous la direction de Diaghilev, firent beaucoup parler d’eux, et eurent un grand retentissement dans le monde artistique. Ils constituent certainement une source d’inspiration pour Chiparus. Un autre centre d’intérêt de l’artiste est la culture égyptienne, dans la continuité de l’engouement pour la découverte de la tombe du pharaon Toutânkhamon par Howard Carter en 1922. Chiparus tire probablement de ce goût pour l’Égypte son attrait pour les statues chryséléphantines, c’est-à-dire originellement mêlant or et ivoire, une technique qu’il adapte et déploie dans la grande majorité de ses réalisations, et qui rend ses objets d’autant plus précieux.
 

Cette sculpture Tanara s’inscrit ainsi parfaitement dans son époque de l’entre-deux-guerre qui a le goût du luxe et de l’ailleurs. La belle conservation de ses éléments d’origine ajoutent une dimension historique à l’aspect très décoratif de la pièce. Ces caractéristiques se retrouvent également dans le numéro 154 de la vente, sculpture du même artiste, représentant un petit accordéoniste.

Le lot 190 de la vente nous fait entrer dans l’intimité d’un grand artiste : Paul Jouve. Jouve s’est toujours intéressé à la représentation animalière, et il est particulièrement réputé pour cette dernière. Après la Première Guerre mondiale, à laquelle il participe, il ajoute à son intérêt pour les animaux une fascination du monde extra-européen, qui l’a poussé à faire de nombreux voyages de plusieurs mois, en Afrique comme en Asie.

Il aime représenter des animaux appartenant à ces contrées éloignées, comme des panthères ou des tigres, dont il souligne la majesté et le dynamisme. Pour l’œuvre présentée ici en vente, on s’éloigne de cet exotisme et de cette majesté pour un univers bien plus familier : le propre chat de Paul Jouve, Mickey. Cette huile sur carton a été réalisée vers 1945 par l’artiste, et est intitulée Le chat Mickey et son petit Dady. Jouve était en effet entouré d’animaux dans son atelier, et était particulièrement attaché à ses chats. Son intérêt pour l’animal a commencé très tôt, puisqu’on retrouve le motif dès ses premiers dessins de jeunesse. Ces dessins étaient déjà particulièrement aboutis, Paul Jouve ayant commencé très jeune sa carrière artistique et ayant vite gagné une grande notoriété.
 

Le chat prend néanmoins une apparence assez imposante, empruntant aux panthères maintes fois représentées par l’artiste, notamment dans le jeu des ombres qui vient souligner les muscles tendus de l’animal, ainsi que dans l’aspect sauvage des deux yeux en fente. L’artiste considérait cette œuvre comme aussi importante que ses autres réalisations d’animaux, puisqu’il a décidé de la présenter à deux reprises parmi ses autres œuvres dans des expositions monographiques.

Le numéro 340 de la vente est une paire de miroirs dits de sorcière, dénommés Gribiche, dont le modèle a été conçu vers 1955 par Line Vautrin. Ces miroirs sont particulièrement représentatifs de la production de l’artiste, qu’elle réalise souvent avec la même technique. Elle est attachée aux miroirs de forme ronde, comme ici, et légèrement bombés, appelés « miroirs de sorcière ». Ils permettent par cet aspect concave de réfléchir un espace plus large qu’un miroir plat, d’embrasser pleinement une pièce.
 

Le pourtour du miroir est décoré en Talosel, qui est un procédé inventé par l’artiste à la période de la conception de ses miroirs, à partir d’acétate des cellulose élaboré. Par sa malléabilité, il permet à l’artiste d’affirmer une belle liberté des formes, et répondre à ses ambitions créatrices.
 

Enfin, on retrouve dans cette création l’esprit malicieux de Line Vautrin qui habite la plupart de ses réalisations. Le nom donné à sa création, Gribiche, pourrait être une référence culinaire : la sauce gribiche, à base d’œufs, a un aspect assez jaune et grumeleux, aspect qu’on retrouve dans le pourtour en Talosel beige confectionné par Vautrin pour la réalisation du miroir. Le mot gribiche renvoie également à cet univers de sorcières, apprécié par l’artiste, puisqu’une gribiche désigne aussi une vieille femme aux mœurs douteuses.
 

Ce même jeu de références sur le titre se retrouve dans l’autre œuvre de Line Vautrin présenté lui aussi en vente : le numéro 339, (Si) Tous les gars du monde (voulaient se donner la main).