L’Histoire derrière des baïonnettes – Collection de Monsieur A.B. (1ère partie)




L’histoire de l’armement est intimement liée à l’histoire des batailles et donc à la grande Histoire. Des changements techniques ou ornementaux dans l’armement résultent de volontés politiques, d’évènements militaires majeurs, ou encore d’un climat social particulier. S’intéresser aux baïonnettes, comme le fit avec une rigueur magistrale Monsieur A.B., c’est s’intéresser à des considérations historiques bien plus larges. Une première partie de la collection qu’il a constituée est présentée en vente le vendredi 5 mai 2023 en salle des ventes Favart à 14 heures.



Les Cent-Gardes : redorer le blason impérial

L’escadron des Cent-Gardes est un corps de cavalerie créé par décret impérial en 1854 sous Napoléon III. Il servait à protéger l’empereur mais surtout à lui assurer une prestance militaire lors de ses sorties publiques. En effet, les gardes étaient recrutés sur leur taille et leur allure. Pour rehausser ce prestige, tout un armement alliant la pointe de la technologie guerrière de l’époque et le faste impérial d’or et de pourpre fut conçut.

Le mousqueton choisi par Napoléon III en témoigne. L’empereur sélectionna en 1854 le seul fusil à broche de fabrication française de l’époque, le mousqueton Treuille de Beaulieu. Les premiers essais autour de cette arme datent de 1852 et elle est finalement mise au point par le commandant Treuille de Beaulieu en 1854, alors qu’il est directeur adjoint de l’atelier de précision du Dépôt Central de l’artillerie. Il en résulte un fusil particulièrement élégant et moderne, dont la culasse coulisse verticalement pour pouvoir utiliser les fameuses cartouches métalliques à broche qui faisaient sa réputation.

Allant de pair avec ce modèle 1854, plusieurs sabres-lances furent créés. Ce qui est particulièrement intéressant dans la collection présentée, c’est qu’elle offre à la vente à la fois un prototype, élaboré en 1853, du sabre-lance pour mousqueton Treuille de Beaulieu (lot 90), et le sabre-lance effectivement utilisé par les Cent-Gardes qui est marqué par de fines différences (lot 91). Saurez-vous les repérer lors de la vente ?

Toute cette débauche d’ingénierie et de savoir-faire se comprend dans un contexte plus large : avec cette garde rapprochée, Napoléon III voulait atteindre deux buts. Le premier était, dans un contexte nationaliste, de rivaliser avec ses voisins européens et notamment l’impressionnante « Household Cavalry » de la reine Victoria. Mais il souhaitait aussi renouer avec le faste du Premier Empire dans une recherche toujours plus grande de légitimation et de consolidation de son propre règne, sans cesse remis en cause par ses détracteurs. Pour plus d’information sur ce corps de gardes particulièrement impressionnant, et notamment sur son armement, n’hésitez pas à vous référer à notre prestigieuse vente de la collection Debaecker (https://www.ader-paris.fr/catalogue/105358?offset=100&) réalisée en juin 2020.










Lot 90 - Prototype du sabre-lance pour mousqueton Treuille de Beaulieu.
Monture en laiton et poinçonnée sur le pommeau « 50 », fusée en corne, garde sans branche à plateau portant la douille. Lame droite avec gouttières, gravée sur le dos « Maufre Impale de Châtellerault Juin 1853 ». L’extrémité de lame porte une fine gouttière sur le dessus de la lame. Fourreau en tôle d’acier à deux bracelets et dard symétrique, poinçonné sur la cuvette et « 10 » sur le dard.
Lt : 1152 mm - Ll : 1000 mm - ll : 30 mm - Dd : 15 mm
A.B.E.
Estimation : 5 000-8 000€













Lot 91 - Sabre-lance pour mousqueton Treuille de Beaulieu modèle 1854.
Monture en laiton poinçonnée sur le pommeau « 84 », fusée en corne, garde sans branche à plateau ajouré portant la douille. Marquage « 49 » sous la cravate. Lame droite avec gouttières, poinçonné « S étoile » (Schütz, contrôleur de 2e classe sous le Second Empire) et gravé sur le dos « Maufre Impale de Châtellerault avril 1854 ». L’extrémité de lame porte une fine gouttière sur le dessus de la lame. Raccourcie réglementairement. Fourreau en tôle d’acier à deux bracelets et dard symétrique.
Lt : 1024 mm - Ll : 856 mm - ll : 30 mm - Dd : 15,5 mm
B.E. Produit à 150 exemplaires.
Estimation : 2 000-3 000€




Sabres-lances du Second Empire

Cette volonté de créer un armement neuf pour le corps de garde le plus prestigieux de l’Empire a poussé les ingénieurs en armement à se surpasser et à créer, dans les années 1850 et 1860, des armes combinant innovations techniques et élégance. Plusieurs sabres-lances furent donc mis au point sous le Second Empire et ne connurent finalement que peu de postérité, car ils étaient associés dans la pratique à plusieurs désagréments techniques (faussement du canon de l’arme, etc.).

Par exemple, le général Arcelin, ancien directeur de la Manufacture de Châtellerault, mène des expérimentations techniques en même temps que celles de Treuille de Beaulieu. Il s’oriente vers une autre forme de mousqueton-lance basé sur un système à percussion et à chargement par la culasse. Finalement, ce mousqueton, mis au point par Alphonse Chassepot, fut la première arme française à verrou. Si ce modèle 1856 est particulièrement novateur, le sabre-lance associé (lot 94) reste néanmoins assez conventionnel, proche des modèles déjà existants. Celui de Treuille de Beaulieu étant dans son entièreté plus novateur, cela peut expliquer pourquoi il fut choisi pour les Cent-Gardes.

Le mousqueton Arcelin fut tout de même mis en essai en 1857 dans plusieurs régiments de la Garde Impériale mais finalement, le rejet du mousqueton à culasse mobile par le Comité d’artillerie, jugé impropre au service de la guerre, signa l’arrêt de l’utilisation de ces armes qui furent conservées par la suite au Dépôt Central. Les mousquetons furent adaptés en 1858 pour servir à une autre arme, le Chassepot au système 1858. Tout cela montre que les recherches autour de l’armement de la cavalerie continuèrent encore sur plusieurs années, comme l’atteste un autre sabre-lance présenté à la vente (lot 95), celui-ci adapté au mousqueton Chassepot modèle 1862 et également produit en petite quantité dans une démarche d’essai.













Lot 94 - Sabre-lance Arcelin modèle 1856, modèle de hussard (92 cm).
Poignée en corne claire avec filigrane en laiton (un petit éclat). Monture en laiton, garde à trois branches. Pommeau frappé « 40 ». Le plateau comporte une douille renforcée d’une bague en acier, et est également frappé « 40 » sous la cravate. Lame droite de section triangulaire à pans évidés (type Préval), poinçonnée et gravée « Maurice Naulot 1855 ».
Fourreau en tôle d’acier à deux anneaux et dard symétrique.
Lt : 1070 mm - Ll : 920 mm - ll : 26 mm - Dd : 17,5 mm
A.B.E. Un des 32 exemplaires mis à l’essai en juin 1857 au 1er régiment de hussards.
Estimation : 3 000-4 000€






Lot 95 - Sabre-lance pour mousqueton Chassepot modèle 1862.
Poignée en bois recouverte de cuir avec filigrane en laiton. Monture en laiton, poinçonnée sur la calotte « 76 », garde à quatre branches, poinçonné « B ».
Lame poinçonnée « 3 » au talon et « F » et « S » étoilé, à double pans creux et dos gravé « Mre Impale de Châtt mars 1865 Dragon mle 1854 ».
Fourreau en acier poli avec deux anneaux et dard symétrique frappé « 45 ». Pitons poinçonnés.
Lt : 1130 mm - Ll : 975 mm - ll : 34 mm - Dd : 17,2 mm
A.B.E.
Estimation : 3 000-4 000€




Armer les colonies

Deux pièces de la vente sont liées à une histoire moins glorieuse que celle de l’armement de prestige : deux baïonnettes destinées aux colonies françaises. Le lot 147 de la vente, directement inspiré du modèle 1890 de gendarmerie, est en réalité une épée-baïonnette modèle 1902 de tirailleurs indochinois. L’épée-baïonnette pour fusil colonial modèle 1907, numéro 148 de la vente, était quant à elle destinée aux autres colonies.

Les troupes coloniales gagnèrent une certaine reconnaissance par la métropole à partir de la Première Guerre mondiale, mais l’existence de ces armements mis au point dans les années 1900 nous rappelle qu’elles ont été formées bien avant : en 1914, on y dénombrait déjà 102 bataillons. « La Coloniale » était constituée d’une part de l’infanterie coloniale française et de l’artillerie coloniale, en majorité métropolitaines, et d’autre part des tirailleurs indigènes (sauf en Afrique du Nord), qui étaient commandés par des officiers venus de la métropole.

Les armes portent en partie cette histoire : la rareté des modèles atteste de leur usage particulier. Une autre particularité est à noter sur l’épée-baïonnette pour les tirailleurs indochinois : la lame a été raccourcie afin qu’elle soit plus maniable pour son utilisateur. Ces baïonnettes mettent en avant le lien tout particulier que la France entretenait avec ses troupes coloniales.





Lot 147 - Épée-baïonnette modèle 1902 de tirailleurs Indochinois.
Poignée en maillechort avec rainure latérale pour le passage de la baguette de nettoyage du fusil. Croisière matriculée et poinçonnée. Lame cruciforme poinçonnée. Fourreau en tôle d’acier adapté à la longueur de la lame.
Lt : 512 mm - Ll : 398 mm - ll : 14 mm - Dd : 13 mm
A.B.E. (Petites piqûres).
Estimation : 250-300€






Lot 148 - Épée-baïonnette pour fusil colonial modèle 1907.
Poignée en maillechort, sans rainure longitudinale, Bouton poussoir de verrouillage, le talon comporte un trou où vient s’encastrer le tenon du fusil. Lame cruciforme poinçonnée « V » et « C » au talon.
Croisière matriculé et fourreau au même n° A 7786
Lt : 635 mm - Ll : 520 mm - ll : 14 mm - Dd : 15 mm
A.B.E.
Estimation : 300-500€








Informations sur la vente :


COLLECTION DE BAÏONNETTES DE MONSIEUR A.B. (1ÈRE PARTIE)

https://www.ader-paris.fr/catalogue/139169-collection-de-baionnettes-de-monsieur-ab-1ere-partie?sort=num&num=&id=&p=1



VENTE

Vendredi 5 mai à 14h
Salle des ventes Favart
3, rue Favart - 75002 Paris



EXPOSITION PUBLIQUE

Jeudi 4 mai de 10 h à 18 h
Vendredi 5 mai de 10h à 12h
A l’étude ADER
3, rue Favart - 75002 Paris



EXPERTS :

Jean-Claude DEY
Arnaud de GOUVION SAINT-CYR

Tél. : 01 47 41 65 31 - jean-claude.dey@wanadoo.fr



RESPONSABLES DE LA VENTE :

Élodie DELABALLE
elodie.delaballe@ader-paris.fr
Tél.: 01 78 91 10 16

Charles MANIL
charles.manil@ader-paris.fr
Tél. : 01 87 44 47 74

Téléphone pendant l’exposition : 01 53 40 77 10