Une collection liée à l’histoire des institutions culturelles passe sous le marteau ce vendredi 12 mai 2023, à Drouot, salle 5. Henry Marcel, personnage public important et grand collectionneur, s’est plusieurs fois fait représenter par des peintres qui lui étaient contemporains. Albert Edelfelt livra un témoignage particulièrement sensible du personnage, mettant en avant le goût de son modèle et son aspect d’homme de lettres primant sur son rôle d’homme politique.

Henry Marcel occupa divers postes politiques au cours de sa vie, presque tous liés au monde de l’art. Il commença sa carrière politique au Conseil d’État, puis prit place dans le domaine artistique en effectuant le remplacement d’Henry Roujon au poste de Directeur des Beaux-Arts en 1903. Déjà collectionneur à cette époque, visitant souvent des ateliers d’artistes et achetant en vente aux enchères, il soutint solidement les initiatives visant à mettre en avant l’art moderne, notamment le Salon d’Automne, qu’il autorisa à se tenir au Grand Palais. Il encouragea également les achats d’œuvres par l’État au cours de ce salon montrant la peinture nouvelle.

A la suite de cette expérience particulièrement positive, il occupa un temps la direction de la Bibliothèque nationale avant de prendre la tête des Musées Nationaux en 1913. Il transforma cette institution, qui n’avait que peu évolué avant sa prise de poste et qui connaissait une crise depuis le vol de la Joconde en 1911. Après la récupération du tableau en janvier 1914 et la mise en place de nouvelles mesures de sécurité, Henry Marcel fit figure de protecteur des arts, une position qu’il continua d’entretenir pendant la Première Guerre mondiale, mettant à l’abri dans les caves ou les renfoncements des murs plusieurs œuvres, et profitant de cet espace libéré pour réorganiser une partie des collections.

Cette volonté de protéger l’art muséal s’accompagna d’un intérêt pour les artistes vivants ; il continua à soutenir ceux qu’il appréciait par des commandes et des achats personnels complétant ainsi sa propre collection.

Il n’est donc pas étonnant que ce personnage intimement lié au monde de l’art ait choisi un peintre de talent pour réaliser son portrait. Ce peintre, très important pour le public finlandais, fut remis sur le devant de la scène française en 2022 par une belle exposition au Petit Palais. Il naquit en Finlande au milieu du XIXe siècle et connut un grand succès en réalisant une partie de sa carrière à Paris. Il chercha initialement à se faire connaître pour sa peinture d’histoire, mais c’est son art du portrait qui séduisit les foules. À la manière de son célèbre portrait de Louis Pasteur, conservé au musée d’Orsay, Edelfelt choisit de montrer Henry Marcel complètement absorbé par sa réflexion, semblant ne pas même remarquer le spectateur qui le regarde.

Le travail tout particulier de la lumière par Edelfelt transparait dans ce tableau : il représente souvent ses sujets dans une lumière douce, uniforme, enveloppante, qui adoucit ici les traits du personnage et permet de matérialiser en peinture sa dimension de collectionneur. Les œuvres sur papier, au mur, dont un dessin de Jules-Élie Delaunay toujours aujourd’hui dans la collection de la famille, et d’autres feuilles devant Henry Marcel, reflètent la lumière de la pièce par leur teinte claire, et rappellent la fonction d’homme de lettres qu’occupe Henry Marcel. La pièce assez dépouillée permet de faire clairement ressortir le sujet qui prend alors une stature à la fois imposante et rassurante. Edelfelt démontre toute sa science du portrait par cette réalisation d’une finesse et d’une douceur particulièrement caractéristiques.

A l'époque de la réalisation du tableau, Henry Marcel est conseiller d’État et n’occupe pas encore de position officielle dans le monde de l’art. Le portrait est donc clairement axé avant tout sur son rôle de collectionneur. Et dans les autres portraits du personnage, réalisés dix à vingt ans plus tard par Weerts (lot 12) puis Guillonet (lot 13), c’est toujours l’image de l’amateur d’art qui sera mise avant celle de l’homme politique. Très certainement, le portrait plut tant à Henry Marcel qu’il demanda à ce qu’il fût une source d’inspiration pour la réalisation de ses portraits ultérieurs.