Curiosités russes



 
La vente d’art russe du 16 mai 2023 est particulièrement riche : elle réunit de magnifiques tableaux, des pièces d’orfèvrerie finement ciselées et émaillées, des icônes emplies de religiosité… Le tout est présenté au public dès le samedi 13 mai en salle 4 à Drouot. Dans cette vente, plusieurs objets attisent la curiosité. Revenons ensemble sur trois œuvres exceptionnelles tant par leur réalisation que par leur histoire.




Un cadeau fastueux et ponctuel
 
Le lot 93 de la vente est un objet assez imposant de près d’un demi-mètre de hauteur. L’objet s’ouvre comme un livre et l’extérieur est luxueusement décoré. Sur un fond de velours bleu, est construit un cadre composé de lauriers et chênes noués, ainsi que de nombreuses couronnes entourant le chiffre émaillé d’Alexandre III et Maria Feodorovna. L’intérieur est recouvert de moire blanche. 

Les poinçons nous apprennent que la pièce fut réalisée à Saint-Pétersbourg en 1882 par la firme de Pavel Sazikov, fournisseur de la Cour. Pourtant, le décor de couronnes, le chiffre du couple impérial, la richesse de la pièce nous indiquent qu’elle fut réalisée pour le double couronnement de l’empereur et de l’impératrice qui eut lieu un an plus tard, le 15 mai 1883. La tradition voulait qu’au couronnement d’un empereur, tous les corps constitués (assemblées d’élus de la noblesse de province et de district, guildes de marchands, corps de métier, municipalités, officiers, hauts fonctionnaires…) offrent un cadeau pour célébrer l’évènement. Très certainement la pièce, comme beaucoup d’autres, fut réalisée en avance dans l’attente de cette célébration en prévision des très nombreuses commandes qu’ils recevraient au moment de l’événement.

Un autre aspect étonnant de l’œuvre est le choix du chiffre représenté : ce chiffre du couple impérial est assez rare, on le retrouve néanmoins dans d’autres réalisations de l’orfèvre, notamment sur un plat de présentation du pain et du sel offert par la Douma de la ville de Saint-Pétersbourg pour le couronnement. Cette présentation luxueuse des symboles impériaux est sans doute à rapprocher du décès d’Alexandre II, assassiné par des membres de la Narodnaïa Volia en 1881. L’orfèvre cherche peut-être ici à réaffirmer la puissance du couple impérial et à célébrer le régime politique.

La pièce faisait probablement partie de la collection de l’Impératrice Douairière, Maria Feodorovna, lorsqu’elle partit en exil en 1919. Elle fut ensuite vendue par l’impératrice elle-même ou un descendant et finit par arriver entre les mains de Michel Brodsky, photographe pour la presse, qui travailla en France et constitua une collection particulièrement imposante d’objets d’art russe aujourd’hui proposée à la vente.








Lot 93 : Important sous-main ou portefeuille en argent, vermeil et émail champlevé. Saint-Pétersbourg, 1882.
Poinçons : 84, Saint-Pétersbourg, 1882, essayeur « И•Е » (Ivan Vonifatievitch Evsigueneev) et orfèvre « САЗИКОВЪ »
(Firme de Pavel Sazikov) avec l’aigle de fournisseur à la Cour.
46 x 32,5 cm ; poids brut : 4500 g
Estimation : 20 000-30 000€





Un unique second prix
 
La collection de Michel Brodsky présente plusieurs pièces exceptionnelles, témoignages du faste de la cour de Russie, comme ces deux plats remis en guise de prix par l’impératrice Alexandra Feodorovna, épouse de l’empereur Nicolas II, l’un en 1906 et l’autre en 1907.

Les deux présentent un remarquable travail d’orfèvrerie qui dans ses formes naturelles asymétriques s’inspire du goût rococo et se rapproche des grandes créations d’orfèvrerie du XVIIIe. Le luxe de ces plats montre à quel point les événements hippiques avaient de l’importance à la cour de Russie. A cette époque, comme dans toutes les cours européennes, la possession de chevaux était pour les membres de l’aristocratie et de la grande bourgeoisie, un marqueur de leur appartenance à l’élite. Toute manifestation hippique faisait partie intégrante de la vie mondaine.

L’un de ces deux plats (le lot 95) est à ce propos particulièrement intéressant puisqu’il est à notre connaissance le seul à avoir été remis par l’impératrice lors d’un Prix, pour la seconde place. Ce Prix, créé en 1897, récompensait uniquement le gagnant excepté en 1906 lorsque le trotteur Kometa, drivé par Samuel Caton, finit second et reçut ce trophée de plus petite dimension mais unique en son genre.

L’histoire des haras nationaux étant toujours bien documentée, on retrouve facilement les informations liées à Kometa. Ce cheval appartenait à la fois à Ilarion Ivanovitch Vorontzov-Dachkov, général, grand propriétaire terrien et ami personnel d’Alexandre III, et à Nikolaï Petrovitch Choubinsky, avocat assermenté, député de la Douma, tous deux propriétaires du haras dont était issu Kometa.

Le plat qui servit de récompense est probablement arrivé ensuite en France lors de l’émigration russe à partir de 1917 et a fini dans la collection de M. Brodsky.





Lot 95 - Plat de prix à bords contournés en argent
Poinçons : 84, Moscou 1899-1908, orfèvre « И. ОЗЕРИЦКИЙ » (Ivan Ivanovitch Ozeritsky)
et dans un triangle « И.Т. » (Ivan Filippovitch Tarabrov).
Diamètre : 40 cm ; poids brut : 1314 g
Estimation : 3 000-4 000€





Sur quel pied danser
 
Le lot 206, quant à lui, est tout à fait curieux. Ce petit chausson de danse en argent, presque à taille réelle, est d’une grande élégance. L’orfèvre s’est dépassé pour restituer l’apparence du tissu, légèrement renfoncé à des endroits comme sous l’effet de l’usure, plissé à d’autres, avec une finesse et un naturalisme impressionnants.

Encore une fois, les marques présentes sur l’objet nous apportent un début d’information sur son histoire. Les poinçons nous indiquent que l’objet fut fabriqué dans la firme de Pavel Fedorovitch Sazikov, sous la direction de son fils Ignaty, dans la succursale de Saint-Pétersbourg en 1855. Une inscription italienne, dédicace à la danseuse Antonietta Ferrero, fut gravée à l’arrière du chausson à l’occasion du carnaval 1901-1902.

Il est donc probable que deux ballerines aient reçu successivement ce délicat chausson de danse en cadeau. La première pourrait être la célèbre danseuse Carlotta Grisi, qui fut de passage en Russie au moment de la création du chausson et qui aurait été la maîtresse du prince Léon Radziwill. Cette femme d’une grande beauté et d’un grand talent, connue notamment pour son interprétation de Gisèle, aurait été aimée de plusieurs hommes, dont Théophile Gauthier.

Celle dont le nom figure sur le chausson est Antonietta Ferrero, qui se produisit essentiellement à Milan et apparut de manière brève sur la scène pétersbourgeoise en 1904. Il est probable qu’Oreste Poli ait acheté le chausson pour l’offrir à sa danseuse, car il était gérant du théâtre Dal-Verme à l’époque où Antonietta jouait dans Brahma et Pietro Micca.

Ce petit chausson nous replonge dans le monde des ballets particulièrement influencé à cette époque par l’art du chorégraphe Petipa, français installé en Russie qui popularisa de nombreuses créations auprès du public russe et créa des ballets, parmi les plus célèbres du répertoire russe, comme Le Lac des Cygnes ou Don Quichotte.





Lot 206 - Chausson de danse en argent. Saint-Pétersbourg, 1855.
Poinçons : 84, Saint-Pétersbourg 1855, essayeur « А•М » (Alexandre Nikolaevitch Mitine) et orfèvre « ПС »
(firme de Pavel Fedorovitch Sazikov sous la direction de son fils Ignaty, succursale de Saint-Pétersbourg).
Longueur : 21,5 cm ; poids : 500 g
Estimation : 2 500-3 000€







Informations sur la vente :


ART RUSSE

https://www.ader-paris.fr/catalogue/129139?offset=0&



VENTE

Mardi 16 mai 2023 à 14h00
Hôtel Drouot, salle 4 
9 rue Drouot 75009 Paris



EXPOSITION PUBLIQUE

Samedi 13 mai de 11 h à 18 h
Lundi 15 mai de 11 h à 18 h
Mardi 16 mai de 11 h à 12 h
Hôtel Drouot, salle 4 
9, rue Drouot 75009 Paris



EXPERT 

Nicolas FILATOFF

russie.expertise.ngf@gmail.com
+33(0)7 82 55 60 60



RESPONSABLES DE LA VENTE

Magdalena Marzec
Marie-Axelle Couppé

magda.marzec@ader-paris.fr
01 78 91 10 08