La vente de dessins et tableaux anciens du 23 mai 2023 propose plusieurs œuvres stimulant l’imagination. Parmi elles, une toile particulièrement inventive, où se déploient des jeux de lumière et de mouvement, fait appel à des contes et légendes solidement ancrés dans le folklore européen.

La Mesnie Hennequin, la chasse volante, la chasse fantastique, l’Åsgårdsreia, l’armée de Wotan : autant de noms qui se rapportent à une même légende qui traversa l’Europe et connut différentes variantes selon les pays. Le lot 103 de la vente nous plonge dans ce mythe cynégétique.

Tout commence par un chasseur qui commet un sacrilège : il quitte la messe car il a une opportunité de chasse. Mais à peine le pied mis à l’étrier, lui et sa troupe sont emportés par une tempête qui leur fait quitter le sol. Ainsi, ils semblent poursuivre un gibier sans jamais pouvoir effectivement l’atteindre. Cette légende, attachée à de nombreux phénomènes naturels tels un grand vent ou le fracas d’une tempête nocturne afin d'en donner une explication, connut un grand succès et presque chaque région d’Europe lui a donné un nom différent.

Au XIXe, en lien avec le courant romantique qui traverse l’Europe et la montée des nationalismes, on assiste à une redécouverte des légendes européennes et de tout l’imaginaire qui les entoure. Les mythes nordiques, ressortis d’anciens manuscrits ou réinventés, les grands mythes nationaux, les contes populaires, tout est réétudié et nouvellement illustré. Des artistes, notamment d’origine germanique, s’emparent de ce folklore et le révèlent dans leur peinture. C’est le cas ici du peintre Gustav Wertheimer.

Gustav Wertheimer, peintre autrichien qui exerce dans la deuxième moitié du XIXe s., se saisit de ce thème, qui est à la croisée d’intérêts pour le folklore national et la représentation cynégétique. Il choisit ici de représenter la légende dans toute sa grandeur, avec le personnage principal au centre du tableau se découpant dans le lever du jour qui va le faire disparaître. Ce choix de placer toute la scène dans cette lumière dorée du début du jour fait ressortir les protagonistes, autant humains qu’animaux, et accentue leur noirceur peu à peu vaincue par la lumière.

Ces jeux de lumière, si majestueusement déployés autour du cheval au centre de la composition, se retrouvent dans d’autres œuvres de Wertheimer, notamment dans un autre tableau passé aux enchères en 2020, qui reprend le thème des chasses fantastiques, mais cette fois-ci dans une lumière de lune, et qui illustre une version dans laquelle Diane mène le cortège de chasse.

Le choix d’une composition particulièrement agitée tourbillonnant autour d’un axe qui traverse le tableau donne à la toile beaucoup de mouvement, d’intensité. Le bruit est également suggéré par ce mouvement, ce désordre apparent, et les différents êtres sont comme arrêtés dans un même cri.

Gustav Wertheimer fait partie de ces artistes talentueux, qui ont connu un grand succès tout au long du XIXe s. et qui ont été partiellement oubliés par l’historiographie tout au long du XXe, dans l’ombre de la célébration de la peinture impressionniste. Ces peintres bénéficient aujourd’hui d'un regain d’intérêt, des musées comme des collectionneurs, pour l’aspect particulièrement décoratif et imaginatif des toiles et la technique picturale souvent très perfectionnée.

Wertheimer se forme aux Beaux-Arts de Vienne puis de Munich. Il connaît rapidement un assez grand succès, montrant notamment un tableau à l’Exposition Universelle de Vienne en 1873. Dix ans plus tard, il s’installe à Paris et expose souvent au Salon, tandis que sa peinture se teinte de plus en plus d’un aspect fantastique. Il est alors au sommet de sa gloire et reçoit de nombreuses médailles dans différentes expositions. Hélas, il subit un désintérêt à la fin de sa vie, n’attirant plus autant le public par ses compositions qui ne sont plus en phase avec la modernité du XXe s.

La peinture de Wertheimer a parfaitement reflété son siècle dans ses intérêts et ses goûts esthétiques. La toile présentée ici en vente en est un bel exemple, mais elle est aussi un témoignage de l’originalité des recherches du peintre, qui sur des œuvres peut-être moins destinées à des expositions officielles, s’autorise plus de liberté sur la lumière, la touche, le sujet.