Six feuillets d’un antiphonaire richement ornés sont proposés dans la vente du mardi 30 mai 2023. Cette vente regroupe un bel ensemble d’enluminures, livres anciens et modernes, qui raviront l’œil autant que l’esprit des collectionneurs.

Les six feuillets sont extraits d’un même antiphonaire. Ce type de manuscrits était un livre de chœur destiné à l’Office (liturgie des Heures) et donc destiné à un milieu monastique, contrairement au graduel qui était un livre de chœur destiné à la Messe. Chacun présente une initiale ornée d’une scène religieuse et introduisant un début de prière en latin. Les paroles sont accompagnées de musique sous forme de notation carrée sur des portées à quatre lignes. Chaque initiale historiée est prolongée de bordures enluminées présentant des sujets variés.

Ces initiales historiées rappellent l’art des Maîtres dit de Raphaël de Mercatellis. Nous n’avons plus aujourd’hui les noms de ces miniaturistes qui formaient un groupe actif d’enlumineurs entre les années 1470 et les années 1510, probablement à Gand et à Bruges, deux villes importantes pour l’économie artistique du Moyen-Âge. Ces artistes doivent leur nom à l’un de leurs mécènes, Raphaël de Mercatellis, abbé de Saint-Bavon à Gand.

Cet homme d’Église était un fils illégitime de Philippe le Bon, duc de Bourgogne, et Marie de Belleval. Après avoir étudié la théologie à la Sorbonne, lieu incontournable du savoir, il fut nommé abbé en 1463 et s’installa en 1478 à Gand. Il était l’un des bibliophiles les plus importants des Pays-Bas et a notamment fondé la bibliothèque de Saint-Bavon en constituant une importante collection de manuscrits. L’atelier des Maîtres de Raphaël de Mercatellis, soutenu par ce grand personnage, a aussi répondu à d’autres commandes pour de grand notables de l’époque comme Jan van Broedere, abbé de l’abbaye de Gramont.

Le duché de Bourgogne était un lieu propice au développement des arts à la suite de la politique de commandes artistiques de Philippe le Bon. Les villes de ce duché connurent un développement sans précédent du fait d’un contexte économique florissant : les possesseurs de grandes richesses s’affirmaient dans leur rôle de notables et cherchaient à montrer leur position par des commandes fastueuses. Par ailleurs, cette propension au développement économique était accompagnée d’une augmentation des échanges artistiques et on trouve une communauté de style chez différents enlumineurs de la même région, comme Cornelia van Wulfschkercke.

Les feuillets présentés sont tous ornés d’une initiale historiée, dont l’iconographie est tirée de la bible. Le lot 24 présente Dieu et la Création, le lot 25 Jésus en Bon Pasteur, le lot 26 l’Ascension, le lot 27 la Pentecôte, le lot 28 Saints Pierre et Paul, et le lot 29 la Visitation. Les couleurs sont encore vives et l’ensemble est particulièrement décoratif.

Toutes ces scènes sont facilement identifiables. Au premier coup d’œil, les grandes lignes sont saisies et les symboles permettant d’identifier les épisodes sont tous présents, avec une iconographie certainement très codifiée. S’il est sûr que le contexte économique florissant et la diffusion des principes artistiques ont aidé à cette forme d’uniformisation stylistique, il est néanmoins encore difficile de savoir par quel biais elle a pu se transmettre d’un artiste à l’autre. Les inspirations communes pouvaient venir de recueils de modèles ou de gravures, ou encore des possessions et commandes des différents mécènes qui mettaient leurs collections à la disposition des artistes travaillant pour eux.

Par ailleurs, chaque scène respecte la séquence liturgique du jour et illustre une fête précise. On retrouve une illustration de la Pentecôte pour illustrer les vêpres pour la veille de la Pentecôte, l’Ascension pour le début des matines de l’Ascension, etc. Ce sont donc des représentations assez codifiées qui parlaient aux dévots. Elles étaient attendues dans un antiphonaire dont le but était de regrouper les différentes partitions nécessaires aux prières chantées.

Les initiales historiées sont certes très soignées, avec des couleurs douces et des paysages esquissés, mais l’inventivité des feuillets tient plus à la décoration des marges qui sont marquées par une plus grande liberté dans la représentation.

Trois marges présentent un décor architecturé mais avec des variations dans cette architecture. On discerne clairement dans le lot 27 l’intérieur d’une église avec, représentés : la balustrade, l’autel et les fonts baptismaux entourés de bancs. On est encore dans un vocabulaire ecclésial avec le lot 25 car les éléments architecturaux peints, découpant une niche dans laquelle se trouve un saint, sont réalisés dans le style du gothique flamboyant aux nombreux pinacles étirés. Le lot 26 apporte une variation dans le style : on s’approche en effet plus du vocabulaire classique et donc des bâtiments de la Renaissance italienne. On reconnaît ces influences notamment au bas du feuillet dans les pilastres séparant des cercles et des carrés qui semblent abriter un décor de pierre dure et qui sont parés de guirlandes de laurier, autre élément éminemment lié aux architectures classiques.

Des inspirations italianisantes sont perceptibles dans le décor du lot 28. En effet, tout le long de la page court un motif rappelant les décors "a candelieri" très appréciés dans l’Italie du XVe et XVIe s., inspiré notamment des vestiges romains. Sur une tige courent différentes formes de balustres, le tout ordonné de façon symétrique par rapport à l’axe central. Au milieu, une figure zoomorphe casquée ressort et on relève également des armoiries encore mystérieuses qui pourraient permettre de dévoiler l’identité du commanditaire de cet antiphonaire. Pour compléter la démonstration, de petits putti jouant sur des guirlandes de laurier sont placés au bas de la composition.

La bordure enluminée du lot 28 présente un décor de fond qui rappelle celui du lot 29 : des fleurs et des feuilles représentées en trompe-l’œil sur un fond coloré. Le fond doré de la bordure enluminée du lot 29 nous place directement dans la tradition ganto-brugeoise du décor de marges. En effet, plusieurs manuscrits de cette période réalisés dans cette région reprennent exactement ce même décor particulièrement réaliste de fleurs et de fruits, contrebalancés par la préciosité du fond d’or. Cette préciosité se retrouve dans le décor du lot 24 puisque sur un fond bleu, se déploie un travail d’orfèvrerie agrémenté de perles, bijoux et joyaux.

Chaque marge a donc un style propre qui vient puiser autant dans des inspirations locales que dans des courants esthétiques plus éloignés, et le tout témoigne d’une grande inventivité de la pratique ainsi que d’une circulation importante des motifs.

Chaque feuillet, dans un excellent état de conservation peut s’acquérir à la vente du 30 mai, magnifique témoignage de la grande inventivité de l’art de Gand et de Bruges au début du XVIe siècle.