Le Christ révélé par la photographie



 
La vente de photographies du jeudi 8 juin 2023 recoupe de nombreux champs esthétiques. Elle donne à voir des clichés parfois connus de tous, comme la photographie du Saint-Suaire de Turin. Cet objet, qui n’est pas unanimement considéré comme une relique, voit son histoire particulièrement liée à la photographie.



Une relique contestée
 
Le suaire de Turin est un drap de lin de plus de quatre mètres de long, que certains considèrent être le linceul qui entourait le corps mort du Christ après sa crucifixion et avant sa résurrection. Son histoire commence au XIVe siècle : on trouve des traces de son existence dans la collégiale de Lirey, en Champagne. Les évêques de Troyes, puis le pape lui-même, essayent d’empêcher les dévotions encouragées par la collégiale autour du linge, dans un contexte de clarification du statut des reliques voulue par l’Église dès le XIVe siècle. La pièce est alors exposée comme une « représentation du Suaire du Christ », mais cela n’empêche pas que le tissu fasse l’objet de dévotions populaires et que sa réputation de précieuse relique s’affirme.

Devenu propriété du duc de Savoie en 1453, le Saint-Suaire est transféré à Turin un siècle plus tard et est vénéré comme une relique de la Passion. Il devient un symbole du duché et puisque le duc de Savoie participe avec ferveur au XIXe siècle à l’unification de l’Italie, le Saint-Suaire prend une place importante dans la légende nationale. Il est donc logique qu’à l’occasion du cinquantenaire de la constitution italienne en 1898, les autorités ecclésiastiques de Turin décident d’organiser une ostention du Saint-Suaire. À cette occasion, Secondo Pia prend une photographie révélatrice.



Photographier le Christ
 
Le Saint-Suaire serait une impression du corps du Christ sur le drap. Selon les croyances chrétiennes, il serait ressuscité, puis monté aux cieux et n’aurait donc laissé que peu de traces de son passage sur Terre. Une empreinte de son corps est donc, avec les Instruments de la Passion, ce qui s’approche le plus d’une relique ayant trait au Christ. Cette trace laissée par sa silhouette est un négatif sur du tissu. Lors de la prise de vue photographique par Secondo Pia, une nouvelle version de cette empreinte est apparue. En effet, au lieu d’être en négatif comme celle que nous voyons à l’œil nu, la silhouette se dessine soudainement en positif et, comble de stupéfaction, un visage d’homme se devine.

Cette révélation frappe le monde chrétien, d’autant qu’elle est assez rapidement diffusée. Il faut attendre une nouvelle ostension, qui n’a lieu que trente ans plus tard, en 1931, à l’occasion du mariage entre Humbert de Savoie et Marie-José de Belgique, pour que de nouveaux clichés soient réalisés. Ils ont une meilleure définition, ce qui permet une réelle étude des résultats. Ces clichés ont été pris par Giuseppe Enrie, sans la vitre de protection qui recouvre la relique, au sein de la sacristie de la cathédrale de Turin. Son procédé ingénieux conjugue un éclairage oblique avec une grande maîtrise des négatifs orthochromatiques et permet de faire ressortir le plus nettement possible, avec une grande clarté, les traces effectivement présentes sur le tissu.

Le double jeu ici présenté à la vente en est le résultat direct : chaque tirage est d’un format impressionnant puisque les jeux sont à taille réelle, et pourtant ils gardent toute leur netteté. Le tout a été marouflé sur toile, ce qui permet de le conserver en rouleau ou de le suspendre à un mur. Ce format si particulier n’est connu à ce jour que dans un seul autre lieu : l’Institut Catholique de Paris, qui en a une version en positif destinée à l’analyse du professeur Paul Vignon. Notre version, en négatif et en positif, provient d’une commande privée réalisée par une fidèle, ce qui montre également l’engouement de nombreux croyants pour cette image révélée avec une précision encore inégalée.



Un contexte d’appréciation particulier
 
Ces photographies apparaissent dans un contexte qui favorise leur grande popularité. Le début du siècle est notamment marqué par un développement du positivisme, une volonté de développer l’approche scientifique de toute chose, et notamment le domaine religieux en France. En effet, les tensions entre cléricaux et anticléricaux sont importantes et l’apparition de ces tirages va servir les deux camps. C’est pour les premiers un symbole de l’existence et de la résurrection du Christ, apportée et révélée par la « science photographique », et pour les seconds c’est une preuve objective de la tromperie que constitueraient les reliques et miracles associés.

Ces images prennent également place dans le contexte de la découverte des rayons X. La ressemblance entre ces négatifs et les résultats des radiographies ne font qu’alimenter le débat et le déplacent sur le terrain des sciences.

Enfin, le spiritisme connaît un grand engouement à la fin du XIXe siècle et la prise de vue photographique est alors utilisée pour révéler des éléments invisibles à l’œil nu, comme des êtres disparus ou des présences occultes. C’est sur cet écart entre la vision humaine et les propriétés de la photographie que repose la démarche esthétique du futurisme. Ce courant est d’ailleurs défendu par Giuseppe Enrie, qui voit la photographie futuriste comme moyen du processus créatif. Pour lui, elle révèle une vérité esthétique invisible à l’œil nu, ce qui fait écho à ses travaux photographiques sur le Saint-Suaire.








Lot 79
- Giuseppe Enrie (1886-1961)
Saint-Suaire de Turin, mai 1931.
Face et dos (taille réelle en positif).
Deux (2) épreuves argentiques d’époque (1934), d’après négatifs verre, marouflées sur toiles avec barres en bois fixées en haut et en bas, conservées sous forme de rouleaux. Systèmes de suspension avec ficelles sur les barres supérieures. Tampons « Fotografie ufficiali - della S. Sindone - Da negativi originali - Cav. G. Enrie », « Cav. G. Enrie - Fotografo ufficiale - della S. Sindone », « Positivo fotografico » et « 1 ott. 1934 » aux versos.
215,5 x 114 et 218 x 114 cm
Estimation : 15 000-20 000€





Lot 80 - Giuseppe Enrie (1886-1961)
Saint-Suaire de Turin, mai 1931.
Face et dos (taille réelle en négatif).
Deux (2) épreuves argentiques d’époque, d’après négatifs verre, marouflées sur toiles avec barres en bois fixées en haut et en bas, conservées sous forme de rouleaux. Systèmes de suspension avec anneaux et ficelles sur les barres supérieures. Plusieurs tampons « Fotografie ufficiali - della S. Sindone - Da negativi originali - Cav. G. Enrie » aux versos.
219 x 113,5 et 219 x 112 cm
Estimation : 15 000-20 000€








Informations sur la vente :


PHOTOGRAPHIES

https://www.ader-paris.fr/catalogue/136957?lang=fr



VENTE

Jeudi 8 juin à 14 h
Salle des ventes Favart 
3 rue Favart - 75002 Paris



EXPOSITION PUBLIQUE

Mardi 6 juin de 11 h à 18 h
Mercredi 7 juin de 11 h à 18 h
Jeudi 8 juin de 11 h à 12 h
Salle des ventes Favart 
3 rue Favart - 75002 Paris
Téléphone pendant l'exposition : 01 53 40 77 10



EXPERT

Antoine ROMAND
Assisté de François CAM-DROUHIN et Agathe OUALLET-IMBAULT

antoine@antoineromand.fr
www.antoineromand.fr
Tél. : 06 07 14 40 49



RESPONSABLES DE LA VENTE

Magdalena MARZEC et Marie-Axelle COUPPE

magda.marzec@ader-paris.fr
01 78 91 10 08