Jean Moral, une Nouvelle Vision



 
Jean Moral a traversé le XXe siècle et son style photographique témoigne de sa place dans les avancées artistiques de l'entre-deux-guerres. Il s’empare de l’objectif et, dans des circonstances très variées, déploie un univers photographique de l’instantané, du mouvement, à l’esthétique pure et nette qui séduit l’œil. La vente, le jeudi 8 juin 2023, de photographies en provenance directe de la famille de l’artiste, permet d’avoir un bel aperçu de cette carrière bien remplie, aujourd’hui encore assez confidentielle.



Un photographe aux plusieurs vies
 
Jean Moral nait en 1906 et est placé en pension à la suite du décès de son père au début de la Grande Guerre. Il y apprend le dessin, puis arrive à Paris en 1926 et se tourne alors rapidement vers la pratique photographique. Il travaille comme dessinateur et graphiste de publicité et commence à vendre ses photographies à des studios, puis il est publié dans des magazines. Dans le même temps, il rencontre Juliette Bastide qu’il épouse en 1931. Elle devient un sujet important de ses photographies et incarne à travers son objectif la femme moderne dynamique, aux cheveux courts et à l’allure sportive. Ils ont ensemble une fille, Brigitte Moral, qui a beaucoup participé à la mise en avant des travaux photographiques de son père, à la fin du XXe siècle. En parallèle, Christian Bouqueret publie en 2000, Jean Moral, l’œil capteur, à la suite d’une exposition itinérante sur l’artiste. Les photographies proposées à la vente proviennent de la collection de Brigitte Moral.

Jean Moral participe, par la publication de ses photographies dans différents magazines et revues, à la popularisation d’une nouvelle esthétique photographique. Un phénomène qui s’accroît encore grâce à sa participation à des expositions d’avant-garde, comme Das Lichtbild à Munich en 1930, Photographes d’aujourd'hui à Paris en 1931 à la librairie-galerie de la Plume d’Or, Exposition pour la constitution des artistes photographes en 1932 à la galerie-studio Saint-Jacques, et l’exposition de la Section photo-cinéma de l’Association des écrivains et artistes révolutionnaires à la galerie Pléiade en 1935.

En 1940, il est mobilisé et affecté au Service cinématographique de l’armée et poursuit dans le même temps ses travaux de photographe de mode. Il finira par mettre un terme à sa pratique de la photographie dans les années 1950 pour se consacrer entièrement à une carrière de peintre, en Suisse, sous l’impulsion de son ami Francis Picabia. Il meurt peu après une exposition monographique qui lui est consacrée en 1999.



Une pratique plurielle
 
Les œuvres ici rassemblées pour la vente permettent de se faire une idée générale de la pratique variée du photographe. Ses premières œuvres sont de réelles expérimentations artistiques : les lots 48 et 50 à 53 témoignent de l’utilisation de procédés de solarisation, et de la réalisation de photogrammes et photomontage dont résultent des formes et effets avant-gardistes.



Lot 48
Jean Moral (1906-1999) Juliette riant (solarisation et négatif), 1930. Deux (2) épreuves argentiques d’époque, dont une sur papier Agfa-Brovira, signées à l’encre aux versos. Format moyen : 23,3 x 28,8 cm
Estimation : 1500 - 2000 EUR




Lot 52
Jean Moral (1906-1999) Visage (photomontage), 1930. Épreuve argentique d’époque, contrecollée sur carton, signée et datée au crayon sur le montage en bas à droite. Tampon « Jean Moral - 8 rue Blomet – Paris » et numéro de référence au verso du montage. 28,5 x 23,7 cm
Estimation : 1000 - 1500 EUR




Une série de photographies nous plongent également dans un univers de jeunesse, plein de vivacité, faisant figurer des corps dynamiques capturés dans la fleur de l’âge par l’objectif du photographe lui-même âgé d’une vingtaine d’années. L’autoportrait de l’artiste (lot 47) réalisé en collaboration avec Juliette en 1933, mettant en scène le corps nu et svelte du photographe dans toute sa simplicité, en est un bel exemple. Les sports sont mis à l’honneur, par exemple le tir avec Juliette au fusil (lot 49), le football avec Bubi (lot 53), et surtout la natation. Jean Moral est lui-même bon nageur et la pratique de la natation s’est tout particulièrement démocratisée dans l’entre-deux-guerres, à la fois dans les premières piscines publiques de Paris et à la mer. L’artiste s’attache à immortaliser une discipline liant l’intensité de l’effort physique et l’insouciance des sports d’eau. Ces clichés sont pris au sein d’architectures particulièrement modernes permettant des jeux esthétiques entre les ombres géométriques, les reflets de l’eau, et les baigneurs qui viennent rompre la sobriété de cette architecture. Une série réalisée autour de la piscine Molitor à Paris en 1932 est tout à fait emblématique de cette méthode (lots 57 à 59).



Lot 47
Jean Moral (1906-1999) Autoportrait (en collaboration avec sa femme Juliette). Lacanau, 1933. Épreuve argentique d’époque. Tampon « Jean Moral - 8 rue Blomet - Paris » et numéro de négatif au verso. 26,7 x 23,3 cm
Estimation : 800 - 1200 EUR




Lot 49
Jean Moral (1906-1999) Juliette au fusil, c. 1930. Épreuve argentique d’époque, contrecollée sur carton et signée au crayon sur le montage en bas à droite. Tampon « Jean Moral - Paris » et numéro de négatif au verso du montage. 27,7 x 22,1 cm
Estimation : 1000 - 1500 EUR




Lot 53
Jean Moral (1906-1999) Bubi, 1930. Épreuve argentique d’époque, contrecollée sur carton, signée et datée au crayon sur le montage en bas à droite. Tampon « Jean Moral - 8 rue Blomet - Paris » et indications techniques pour publication au verso du montage. 27,5 x 22,4 cm
Estimation : 1000 - 1500 EUR




Lot 58
Jean Moral (1906-1999) Piscine Molitor. Paris, c. 1932. Deux (2) épreuves argentiques d’époque, contrecollées sur cartons, signées au crayon sur les montages en bas à droite. Tampon « Jean Moral - Paris » et numéros de négatifs aux versos des montages. Formats : 27,2 x 22,5 et 27,2 x 23 cm
Estimation : 1200 - 1800 EUR




En 1933, est réalisée une série plus intime mettant en scène Juliette dans le décor idyllique de la maison du graphiste de Harper’s Bazaar, Reynaldo Luza, aux Baléares (lots 63 à 68). Une belle photographie de Juliette, un galet sur la tête (lot 62), insiste sur la relation toute particulière qui unissait les deux personnages et l’importance de la figure de sa compagne dans sa pratique photographique. Jean Moral lui-même en témoigne : « s’il n’y avait pas eu de lien fort entre nous, la force spontanée évidente de ces photographies n’aurait pas existé », ce qui donne une coloration toute particulière à ces photographies intimes.



Lot 62
Jean Moral (1906-1999) Juliette, un galet sur la tête. Formentor, Majorque, 1933. Épreuve argentique d’époque, contrecollée sur carton et signée au crayon sur le montage en bas à droite. Tampon « Jean Moral - Paris » et numéro de négatif au verso du montage. 27,3 x 23,2 cm
Estimation : 800 - 1200 EUR




Ces photographies, immortalisant la jeunesse et l’insouciance, sont complétées par des clichés de la vie parisienne et américaine et des photographies de mode (lots 72 à 78) destinés à divers magazines comme notamment Harper’s Bazaar qui employa souvent le photographe. Ces clichés transmettent un sentiment de légèreté tout en nous faisant pénétrer dans l’intimité de ses sujets, que ce soit au sein de l’atelier du peintre Lhote (lot 73), dans un portrait de Man Ray en pleine action (lot 72) ou bien dans une photographie de Gabrielle Chanel prise rue Cambon (lot 77).



Lot 77
Jean Moral (1906-1999) Gabrielle Chanel sortant du 31 rue Cambon. Paris, 1939. Épreuve argentique d’époque sur papier Agfa-Brovira. Tampon « Jean Moral - Paris », numéro de négatif et date au verso. 27,3 x 23,4 cm avec marge en bas
Estimation : 600 - 800 EUR




Un changement d’ambiance et de format de publication est visible dans les lots 69 à 71, puisque ces tirages sont issus d’un reportage sur la guerre d’Espagne réalisé par Jean Moral pour Paris-Match et Paris-Soir, destiné à accompagner les textes de Joseph Kessel, qui s’est engagé dans le combat et qui figure d’ailleurs sur certaines photographies.



Lot 69
Jean Moral (1906-1999) Guerre civile espagnole, octobre 1938. Joseph Kessel sur la route de Madrid. Épreuve argentique d’époque sur papier Agfa-Brovira. Tampon « Jean Moral - Paris » au verso. 19,3 x 28,3 cm
Estimation : 700 - 900 EUR




Une même Nouvelle Vision
 
Les clichés sont marqués par une même vision esthétique qu’instille Jean Moral dans ses clichés. Elle évolue légèrement au cours de sa carrière, mais il s’appuie souvent sur les mêmes procédés qui s’accordent à son discours esthétique. Ceux-ci le placent dans les tenants de la Nouvelle Vision, notamment issue du Bauhaus, qui s’est diffusée dans toute l’Europe et les États-Unis pendant l’entre-deux-guerres. Elle s’appuie en particulier sur des angles de prise de vue innovants, mobilisant souvent la plongée et la contre-plongée, la vision latérale, des cadrages en plans rapprochés, la mise en place de diagonales dynamiques dans les photographies..

Cette évolution est permise par l’introduction sur le marché de nouveaux appareils photographiques comme les Leica, les Rolleiflex, etc., qui sont plus maniables et permettent une prise de vue plus instantanée et plus précise. Ces appareils sont parfaitement adaptés à la pratique de Jean Moral, basée sur le mouvement sportif, la dynamique corporelle, mais aussi les angles surprenants : un cliché (lot 54) repose ainsi entièrement sur l’utilisation de la contre-plongée, qui nous fait questionner le sujet même de la prise de vue. Il n’est pas si aisé de comprendre au premier coup d’œil que Jean Moral a photographié des immeubles et un coin de ciel en parfaite contre-plongée. L’effet rendu, abstrait de son contexte, nous fait prendre conscience de l’esthétique particulière du monde qui nous entoure. Il nous incite justement à développer une Nouvelle Vision.


Lot 54
Jean Moral (1906-1999) Contre-plongée, 1930. Épreuve argentique d’époque, contrecollée sur carton, signée et datée au crayon sur le montage en bas à droite. Tampon « Jean Moral - 8 rue Blomet - Paris » et numéro de négatif au verso du montage. 29,1 x 23,3 cm
Estimation : 1000 - 1500 EUR









Informations sur la vente :


PHOTOGRAPHIES

https://www.ader-paris.fr/catalogue/136957?lang=fr



VENTE

Jeudi 8 juin à 14 h
Salle des ventes Favart 
3 rue Favart - 75002 Paris



EXPOSITION PUBLIQUE

Mardi 6 juin de 11 h à 18 h
Mercredi 7 juin de 11 h à 18 h
Jeudi 8 juin de 11 h à 12 h
Salle des ventes Favart 
3 rue Favart - 75002 Paris
Téléphone pendant l'exposition : 01 53 40 77 10



EXPERT

Antoine ROMAND
Assisté de François CAM-DROUHIN et Agathe OUALLET-IMBAULT

antoine@antoineromand.fr
www.antoineromand.fr
Tél. : 06 07 14 40 49



RESPONSABLES DE LA VENTE

Magdalena MARZEC et Marie-Axelle COUPPE

magda.marzec@ader-paris.fr
01 78 91 10 08